Réforme fédérale de l’évaluation environnementale : la perspective d’un praticien

Au cours des 18 derniers mois, le gouvernement fédéral canadien a envisagé une réforme de l’évaluation environnementale (EE). Le gouvernement a déclaré que les objectifs de cette réforme étaient de regagner la confiance du public, de protéger l’environnement, de favoriser la réconciliation avec les peuples autochtones et de s’assurer « que les projets viables vont de l’avant et que les ressources sont mises en marché1 ». Pour contribuer à l’atteinte de ces objectifs, le gouvernement a rédigé le document de travail sur l’Examen des processus d’évaluation environnementale et règlementaire, qui décrit les approches qu’il propose pour procéder à des réformes conceptuelles qui auront une grande incidence sur les EE fédérales.

Les projets énergétiques assujettis au régime proposé devront, entre autres choses, voir à la mise en œuvre de processus efficaces, d’autant plus que les évaluations proposées dans le nouveau régime seront probablement beaucoup plus complexes que celles du régime fédéral d’EE actuel. Cette complexité accrue souligne à quel point il sera important de mettre en œuvre des processus d’évaluation efficaces et efficients. Le présent article décrit les points clés de la mise en œuvre sur le plan de la coordination des évaluations, des délais d’exécution et de la participation des peuples autochtones.

Contexte

Pour rétablir la confiance du public dans le régime d’EE du Canada, la plateforme électorale de 2015 du Parti libéral du Canada promettait un examen et une réforme de ce régime2. Le 15 août 2016, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Catherine McKenna, a annoncé la nomination d’un groupe d’experts pour « procéder à un examen des processus fédéraux d’évaluation environnementale3 ». Le groupe a reçu des commentaires de plus de 1000 participants en personne (dont près de 400 présentations) et plus de 500 mémoires de la part de groupes autochtones, de particuliers, d’universitaires, d’organisations de revendications territoriales, d’organismes non gouvernementaux, d’associations de l’industrie, d’entreprises, d’autorités portuaires, de provinces, de territoires et des municipalités4. Le groupe s’est fondé sur son travail en vue de proposer un cadre conceptuel pour un nouveau régime élargi d’évaluation des impacts (EI)5.

Le gouvernement a élaboré son document de travail en tenant compte du cadre proposé par le groupe d’experts, ainsi que des commentaires et de la consultation connexes du public, d’autres consultations et « d’enseignements pratiques tirés [par le gouvernement] au cours des 18 derniers mois6 ». Tout comme la plus grande partie de la discussion concernant la réforme de l’EE, le document de travail décrit les approches proposées pour la réforme de l’EI – à un niveau conceptuel. Même s’il va sans dire que ces concepts sont importants, s’ils ne sont pas mis en œuvre adéquatement, bon nombre de projets énergétiques pourraient ne pas voir le jour, malgré leurs mérites.

Après avoir examiné la rétroaction sur le document de travail, le gouvernement a indiqué qu’il prévoyait mettre en œuvre une « série de changements exhaustifs cet automne7 ».

Un projet, une évaluation

Le document de travail soutient le principe d’« un projet, une évaluation ». Son objectif sous-jacent est d’éviter les évaluations multiples pour un projet, qui peuvent occasionner des retards et des recoupements inutiles. Toutefois, la mise en œuvre efficace d’une évaluation unique peut être compliquée en raison des examinateurs qui peuvent provenir de diverses sphères de compétence. Par exemple, un projet énergétique peut faire l’objet d’un examen fédéral et provincial, ainsi que d’un examen en vertu des lois autochtones. Dans la réalité, de multiples EI peuvent donc être réalisées pour un seul projet énergétique.

Afin d’éviter de telles situations, le gouvernement devra travailler de façon proactive avec les sphères de compétence pertinentes pour un projet (que ce soit au cas par cas ou autrement) et offrir un processus d’EI harmonisé et plus attrayant pour ces sphères de compétence que de procéder à leurs propres EI indépendantes.

En théorie, lorsqu’un projet a reçu la ou les approbations d’EI nécessaires, les autres processus d’attribution de permis en matière d’environnement ont pour but de voir à ce que le projet soit mis en œuvre en conformité avec les exigences applicables. Toutefois, en pratique, certains de ces processus peuvent effectivement se transformer en EI, passant de comment un projet devrait être réalisé à si un projet devait être réalisé. Dans beaucoup trop de cas, un organisme de règlementation peut utiliser son pouvoir discrétionnaire dans l’attribution du permis nécessaire pour insister sur un changement fondamental à un projet énergétique qui n’avait pas été envisagé dans le processus d’EI et qui menace la viabilité du projet. Lorsque les organismes de règlementation transforment effectivement les processus d’attribution de permis qui ont comme but principal de voir comment un projet devrait être réalisé en un processus visant à savoir si un projet devait être réalisé, ces organismes de règlementation assujettissent en fait le projet à une EI supplémentaire.

Une fois de plus, la solution exige que le gouvernement et les autres sphères de compétence fassent en sorte que les facteurs requis sont pris en considération au cours de l’EI et que les autres processus d’attribution de permis restent axés sur la réalisation efficace du projet.

Délais

Les délais imposés par la loi en vertu du régime fédéral d’EE actuel n’offrent souvent pas la certitude dont les promoteurs de projets énergétiques et autres intervenants ont besoin, parce que ces délais peuvent être reportés ou, en d’autres mots, l’« horloge d’EE » peut être stoppée. Par exemple, les délais imposés par la loi (c.-à-d. l’« horloge d’EE ») peuvent être reportés afin que le promoteur puisse répondre aux demandes de renseignements ou d’études supplémentaires de la part de l’organisme de règlementation. Malheureusement, il n’est pas rare de constater que l’« horloge d’EE » concorde peu avec la période réelle allant du début de l’EE à la réception de l’approbation d’EE.

À l’appui de l’objectif du gouvernement de « chercher à attirer et à faire progresser l’investissement », le document de travail indique que le gouvernement envisage de « maintenir les délais imposés par la loi en matière d’évaluation de projet pour assurer la clarté et la prévisibilité » [italique dans l’original]8. Le document de travail suggère également d’utiliser des délais adaptés à chaque projet. Pour attirer l’investissement, les délais imposés par la loi doivent être raisonnables et respectés. Pour que des délais adaptés à chaque projet fonctionnent, ceux-ci doivent être soutenus par des délais imposés par la loi qui sont raisonnables et respectés.

Si elle est mise en œuvre adéquatement, la phase de « consultation et planification en début de processus » proposée par le gouvernement avant l’EI devrait grandement réduire, voire éliminer la nécessité de demander des renseignements et des études supplémentaires (après cette phase). La consultation et la planification en début de processus ont pour but « [de] favoriser une meilleure conception de projets, des évaluations plus efficaces et [d’]en arriver à un consensus sur le processus d’évaluation environnementale9 » [caractères gras dans l’original]. Par conséquent, les demandes légitimes de renseignements et d’études supplémentaires allant au-delà de ce qui est entrepris en fonction de la phase de consultation et de planification en début de processus devraient être minimales, s’il y a lieu. Peu importe, la pratique qui consiste à « stopper l’horloge d’EE » devrait être éliminée, puisqu’elle mine la crédibilité du système d’EE (surtout parce que la majorité des investisseurs et des promoteurs estiment les délais en fonction du début et de l’achèvement du processus d’EE et non de l’horloge d’EE).

Le respect des délais va au-delà de la pratique qui consiste à « stopper l’horloge d’EE ». Le respect des délais comprend la coordination et la gestion de l’EI avec d’autres sphères de compétence, ainsi que la minimisation des reports pour que les ministres ou le Cabinet puissent prendre des décisions (ces reports devraient être de rares exceptions pour des motifs de principe entraînant un bref retard en vue d’en arriver à une décision de meilleure qualité).

Participation des Autochtones

L’un des sujets les plus souvent abordés relativement à la réforme d’EI concerne les mécanismes pour accroître la participation des peuples autochtones. Le plan actuel du gouvernement pour une participation accrue est général et pourrait avoir une grande portée. Par exemple, le document de travail cite le premier ministre Justin Trudeau qui a déclaré : « Le gouvernement s’engage à renouveler les liens avec les peoples autochtones, de nation à nation, d’Inuits à Couronne et de gouvernement à gouvernement. Cette relation renouvelée repose sur la reconnaissance des droits, le respect, la collaboration et le partenariat10. » Le document de travail souligne également que « [l]a réconciliation doit guider les partenariats avec les peuples autochtones et il est nécessaire de reconnaître et de respecter leurs droits et leurs intérêts, leurs liens profonds avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources ainsi que leur désir de participer en tant que partenaires au développement économique de leurs territoires11 ».

Malheureusement, le document de travail ne décrit pas en détail ce que le gouvernement envisage à cet égard ni comment les mécanismes connexes pourraient fonctionner. Dans le même ordre d’idées, le document de travail indique que le gouvernement envisage d’entretenir une consultation et une participation régulières en début de processus avec les peuples autochtones en vue de « chercher à obtenir un consentement préalable libre et éclairé au moyen de processus basés sur le respect mutuel et le dialogue12 ». Plus récemment, le gouvernement a réitéré son engagement à l’égard de bon nombre de ces concepts dans ses « Principes régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones13 ».

Pour bon nombre de projets énergétiques assujettis au régime fédéral d’EI proposé, l’une des principales questions concernant la mise en œuvre consistera à déterminer la façon la plus efficace et efficiente de faciliter la participation des peoples autochtones dans les capacités applicables pour un projet particulier. Peu importe comment les peuples autochtones participent (p. ex. à titre de promoteur, d’examinateur ou de participant au processus libre, préalable et de consentement éclairé, au processus d’obligation de consulter ou au processus d’EI ou à une combinaison de ceux-ci), une facilitation efficace et efficiente sera probablement requise pour respecter les normes de ponctualité du projet énergétique.

Il n’y a pas d’approche uniformisée pour cette facilitation, et cette dernière devrait nécessiter un niveau d’adaptation considérable et un dialogue constructif pour chaque scénario. Toutefois, il y a déjà des précédents et des directives utiles pour ce type de mise en œuvre. Par exemple, la construction et l’exploitation de la centrale Peter Sutherland Sr. reposent sur un partenariat entre la Nation Taykwa Tagamou et Ontario Power Generation Inc. Ce projet, qui était assujetti au régime d’EE de l’Ontario, a été achevé plus tôt que prévu cette année et en respectant le budget14. Dans la même veine, l’on dispose déjà de directives pratiques sur l’obtention d’un consentement libre, préalable et éclairé15. De même, une expérience considérable a été acquise quant à la manière d’assurer une obligation de consulter efficace et efficiente. Par conséquent, l’approche du gouvernement pour accroître la participation des peuples autochtones – peu importe ce qu’elle sera – pourrait exiger un changement important dans la façon dont la participation des peuples autochtones est mise en œuvre pour les projets énergétiques, bien que les promoteurs disposent déjà de balises utiles à cet effet.

Conclusion

La mise en œuvre efficace et efficiente des EI est essentielle pour que le régime proposé puisse faire en sorte que les projets énergétiques reçoivent le feu vert et que les ressources sont mises en marché. Entre autres choses, les éléments suivants seront nécessaires :

  • ne procéder qu’à une EI par projet;
  • respecter des délais raisonnables;
  • faciliter la pleine participation des peuples autochtones et des gouvernements dans chaque capacité pertinente pour les projets, au cas par cas.

Sans des consultations et des ressources adéquates pour assurer la mise en œuvre efficace et efficiente du régime en fonction de chaque projet, il y a peu de chances que le régime d’EI proposé connaisse du succès.

*Michael Fortier est partenaire à Torys LLP. Sa pratique comprend la prestation de conseils à des promoteurs et d’autres clients en matière d’évaluation environnementale et de droit autochtone concernant les projets énergétiques, d’infrastructure et d’exploitation minière.

  1. Canada, Examen des processus d’évaluation environnementale et règlementaire, Document de travail, Ottawa, juin 2017, à 3, en ligne : <https://www.canada.ca/content/dam/themes/environment/conservation/environmental-reviews/share-your-views/proposed-approach/discussion-paper-june-2017-fra.pdf >.
  2. Parti libéral du Canada, Le bon plan pour renforcer la classe moyenne (24 juillet 2017), à 41-42, en ligne : <https://www.liberal.ca/wp-content/uploads/2015/10/Le-bon-plan-pour-renforcer-la-classe-moyenne.pdf >.
  3. Catherine McKenna, « Le gouvernement du Canada va de l’avant avec l’examen des processus d’évaluation environnementale » CISION (15 août 2016), en ligne : < http://www.newswire.ca/news-releases/le-gouvernement-du-canada-va-de-lavant-avec-lexamen-des-processus-devaluation-environnementale-590224641.html >.
  4. Johanne Gelhas et al, Bâtir un terrain d’entente : une nouvelle vision pour l’évaluation des impacts au Canada, Ottawa, 2017, à 87, en ligne : <https://www.canada.ca/content/dam/themes/environment/conservation/environmental-reviews/building-common-ground/batir-terrain-entente.pdf >.
  5. Ibid, à 48-85.
  6. Supra, note 2 à 6. Le document de travail propose également des modifications (non mentionnées dans le présent article) à la Loi sur l’Office national de l’énergie, à la Loi sur la protection de la navigation et à la Loi sur les pêches.
  7. Ibid.
  8. Ibid, à 10.
  9. Ibid, à 10.
  10. Ibid, à 15.
  11. Ibid.
  12. Ibid.
  13. Canada, ministère de la Justice, « Principes régissant la relation du gouvernement du Canada avec les peuples autochtones » (19 juillet 2017), en ligne : < http://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/principes-principles.html>.
  14. Ontario Power Generation Inc, « Peter Sutherland Sr. Generating Station » (21 juillet 2017), en ligne : <http://www.opg.com/generating-power/hydro/projects/new-post-creek/Pages/new-post-creek.aspx>.
  15. Voir, par exemple, The Honorable Frank Iacobucci et al, « Free, Prior and Informed Consent in Canada: Towards a New Relationship with Indgenous Peoples » Torys LLP (12 juillet 2016), en ligne : <http://www.torys.com/insights/publications/2016/07/free-prior-and-informed-consent-in-canada-towards-a-new-relationship-with-aboriginal-peoples>, surtout la partie IV <http://www.torys.com/insights/publications/2016/07/part-iv-towards-a-new-relationship-to-facilitate-reconciliation>.

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