ÉDITORIAL

RÉTROSPECTIVE 2018 : LE SECTEUR DE L’ÉNERGIE AU CANADA

Chaque année, lorsque nous rédigeons la rétrospective, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. La première question sur la liste est toujours celle des pipelines. Dans la rétrospective de 2016, la première rubrique était « Fini les retards avec les pipelines ». L’an dernier, le premier titre de la rétrospective était « Les retards de pipeline sont de retour ». Cette année, la première rubrique est « Les retards de pipeline se poursuivent ».

LES RETARDS DE PIPELINE SE POURSUIVENT

Les événements de 2018 concernant l’aménagement de pipelines au Canada sont identiques à ceux de 2017, sauf qu’il y a eu de nouveaux acteurs. Il y avait de nouveaux acteurs en ce sens qu’il y avait différents pipelines. Mais l’organisme de réglementation était le même – l’Office national de l’énergie (ONÉ).

En 2017, le pipeline en cause était le pipeline TransCanada Énergie Est. Il s’agissait d’un projet de 15,7 milliards de dollars pour la construction d’un pipeline de 4 500 km entre l’Alberta et la côte Est. La demande a été déposée en avril 2013. L’argument était que les raffineurs de la côte Est du Canada dépendent des importations pour 80 % des besoins et que le brut de l’Alberta pourrait remplacer le brut étranger. Cet argument semblait avoir un certain mérite.

Les choses ont déraillé lorsque l’ONÉ a suspendu les audiences jusqu’à ce qu’il puisse statuer sur une motion visant à destituer deux membres du comité pour crainte de partialité. En fin de compte, l’ONÉ a recommencé avec trois membres du comité et a rejeté toutes les décisions que le comité précédent avait prises. Pour couronner le tout, à la suite d’un changement de politique gouvernementale, le comité de l’ONÉ a rendu une nouvelle décision autorisant la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre, y compris une décision selon laquelle, pour la première fois, l’Office examinerait l’impact des émissions de carbone en amont et en aval résultant de la production et de la consommation accrues de pétrole résultant du projet. C’était suffisant pour TransCanada. En octobre 2017, l’entreprise a jeté l’éponge et annulé le projet.

Les événements de 2018 n’ont pas été très différents, sauf que le pipeline était différent. Ce cas concernait le pipeline Kinder Morgan Trans Mountain. Il s’agissait d’une demande d’approbation d’un projet de 5,4 milliards de dollars visant à jumeler un pipeline existant entre Edmonton (Alberta) et Burnaby (Colombie-Britannique). Cette demande a également été déposée pour la première fois en 2013. Le projet visait à faire passer la capacité de 300 000 barils par jour à 890 000 barils par jour et à faire passer le trafic de pétroliers dans l’inlet Burrard de cinq pétroliers à 34 pétroliers par mois.

Cette situation a pris fin lorsque la Cour d’appel fédérale a statué qu’il y avait eu un manquement à l’obligation constitutionnelle de consulter adéquatement les bandes autochtones touchées par l’augmentation du trafic maritime (en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale1) et un manquement de la Couronne à l’obligation constitutionnelle de consulter adéquatement les bandes autochtones touchées.

Comme TransCanada l’année précédente, Kinder Morgan a jeté l’éponge. Mais Kinder Morgan l’a fait un peu différemment de TransCanada. L’entreprise a donné au gouvernement fédéral un délai pour résoudre le problème.

La solution du gouvernement à ce problème a été d’acheter le pipeline pour 5,4 milliards de dollars. Reste à voir si cela résoudra le problème. Il y a cependant eu de bonnes nouvelles. Le 21 février, lors d’une nouvelle audience, l’ONÉ a approuvé le projet de Trans Mountain en concluant qu’il y avait de véritables problèmes environnementaux et autochtones, mais qu’ils étaient éclipsés par des préoccupations nationales.

Comme la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Trans Mountain, l’opposition de la province de la Colombie-Britannique a été tout aussi importante. Le nouveau gouvernement de la Colombie-Britannique a annoncé qu’il envisageait d’adopter un règlement pour empêcher les sociétés pipelinières d’expédier du bitume dans la province. L’Alberta a répondu qu’elle n’importerait plus de vin de la Colombie-Britannique et n’achèterait plus d’électricité provenant du barrage C du site de la Colombie-Britannique. En plus du gouvernement provincial, Kinder Morgan a dû faire face au maire de Burnaby tout comme TransCanada a dû faire face au maire de Montréal. Il s’avère que les maires des grandes villes n’aiment pas non plus les pipelines.

Au moment de mettre sous presse la rétrospective de cette année, TransCanada a annoncé qu’elle supprimera le mot « Canada » de la dénomination sociale. Imaginez un peu ça. Il s’agit de la société qui a construit le premier pipeline est-ouest du Canada il y a plus de 50 ans. Il se concentrera maintenant sur les États-Unis et le Mexique, où il pourra construire des installations.

L’Alberta, la province dont la population a payé d’importants impôts sur le revenu au gouvernement fédéral, est maintenant confrontée à de graves difficultés économiques en raison du déclin de son industrie énergétique. À 7h du matin, il fait encore nuit à Calgary pendant l’hiver. Si vous marchez de l’hôtel sur la rivière Bow en direction de la ville, vous faites face à une série de bâtiments étincelants, dont la moitié supérieure, pour la plupart, n’a pas de lumière allumée. Ils sont vides. C’est ce qu’on appelle l’espace fantôme. L’espace n’est même pas sur le marché. Leurs propriétaires savent que, dans les circonstances actuelles, les bâtiments ne sont pas louables.

UN NOUVEL ORGANISME DE RÉGLEMENTATION FÉDÉRAL

Au début de 2018, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-692, une nouvelle loi qui remplacerait l’Office national de l’énergie par la Régie canadienne de l’énergie (RCE), comme on l’appelle maintenant. La RCE est beaucoup plus complexe que l’ONÉ. Premièrement, son champ d’application est beaucoup plus vaste. Sa compétence va au-delà des pipelines sous réglementation fédérale. La nouvelle portée réglementaire comprend l’exploration pétrolière et gazière extracôtière, les projets de production et les projets d’énergie renouvelable potentiellement extracôtiers.

Deuxièmement, il y a maintenant trois décideurs. Il y a d’abord le Conseil d’administration qui contrôle la RCE. Ensuite, il y a les membres de la RCE elle-même – les membres de la Commission qui tiendront les audiences. Enfin, et ce n’est pas le moins important, le Cabinet fédéral dispose d’un droit de veto sur toute décision de la RCE.

Pour compliquer les choses, les facteurs dont cette nouvelle institution doit tenir compte sont beaucoup plus vastes que ceux auxquels l’ONÉ ou tout organisme canadien de réglementation de l’énergie est actuellement confronté. La nouvelle Loi exige que le processus d’examen tienne compte des considérations environnementales, sexospécifiques et autochtones ou de ce qui est décrit comme la manière dont le sexe et le genre recoupent d’autres facteurs identitaires, notamment la capacité du Canada de respecter ses obligations environnementales et ses engagements en matière de changement climatique. Avec tout cela, l’industrie en aura pour des années à se creuser la tête.

Certains prétendent que la nouvelle législation crée de l’incertitude pour les investisseurs. Mais nous ne pouvons pas reprocher au gouvernement d’avoir essayé. Le processus d’approbation des pipelines de l’ONÉ a été assiégé de toutes parts au cours des dernières années. Dans le nouveau monde, le sort des projets de pipelines ne sera plus décidé par des tribunaux d’experts, mais par le Cabinet fédéral.

TECHNOLOGIE ET ORGANISMES DE RÉGLEMENTATION

L’année 2018 a vu toute l’industrie de l’énergie au Canada se concentrer sur la technologie et l’innovation. Chaque organisation professionnelle a produit une conférence ou une étude sur le sujet. Les organismes de réglementation sont également entrés en jeu.

En Ontario, par exemple, la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité (SIERE) a mis sur pied le Groupe consultatif sur le stockage de l’énergie. L’objectif de cet organisme est de cerner la technologie et les autres obstacles à l’entrée auxquelles font face les actifs de stockage. La capacité du stockage à réduire considérablement les coûts d’électricité est reconnue depuis longtemps. Les réseaux d’énergie sont nécessairement construits pour répondre à la demande de pointe qui est souvent atteinte moins de dix pour cent du temps.

À bien des égards, l’initiative de la SIERE a suivi l’avis de projet de réglementation de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) publié à Washington un an auparavant. L’objectif de cette procédure était de réduire les obstacles au stockage de l’énergie et aux ressources énergétiques décentralisées (RED). En fin de compte, la FERC a demandé aux six exploitants de réseaux régionaux ou organismes de transport régionaux (OTR) de préparer des plans pour l’introduction de ressources de stockage et de RED dans leurs marchés respectifs.

Le Groupe consultatif sur le stockage de l’énergie de la SIERE a publié son rapport à la fin de l’année. Il a formulé un certain nombre de recommandations, y compris une demande aux organismes de réglementation d’élaborer un plan clair pour l’introduction du stockage dans la base tarifaire des distributeurs locaux (DL) d’électricité de la province. L’initiative ontarienne a été suivie d’une enquête beaucoup plus vaste menée par l’Alberta Utilities Commission (AUC) sur les répercussions de la technologie sur le réseau de distribution d’électricité en Alberta.

La portée traditionnelle des activités des DL d’électricité est également remise en question et mise sous pression par les nouvelles technologies. La production centrale est remplacée par la production locale. La production locale (et le stockage) peut permettre aux consommateurs de réaliser d’importantes économies de coûts. Si les DL ne répondent pas à ces nouvelles demandes du marché, ils pourraient perdre une charge importante. La production d’électricité par les clients est en croissance. Les clients directement connectés à la production n’ont pas besoin d’un distributeur.

Une enquête générique sur le rôle des DL d’électricité dans le déploiement de nouvelles technologies est attendue depuis longtemps. L’industrie se préoccupe depuis longtemps du rôle de la production et du stockage intégrés, y compris le développement de micro-réseaux. La question de savoir où commence et où finit la réglementation est dans l’esprit de tous. La grande question est de savoir si les DL devraient devenir des producteurs locaux et être en mesure de tirer parti de la technologie de la microénergie.

LA GUERRE DU CARBONE

Il n’y a pas que les provinces qui se sont affrontées entre elles en 2018. Elles ont aussi dû se battre contre le gouvernement fédéral en ce qui concerne les taxes sur le carbone.

Le 31 octobre 2018, le nouveau gouvernement de l’Ontario a présenté la Loi sur le plafonnement et l’échange de droits d’émission3 qui abrogeait le régime ontarien de plafonnement et d’échange de droits d’émission instauré par le gouvernement libéral précédent. Cette loi a retiré ou annulé les droits d’émission et les crédits compensatoires détenus par les participants de l’Ontario en vertu du régime.

Le gouvernement fédéral canadien a ensuite adopté une loi indiquant que les provinces doivent adopter un régime du carbone acceptable pour le gouvernement fédéral, sinon le gouvernement imposerait une taxe. Le produit de la tarification de la pollution par le carbone serait remis au gouvernement fédéral ou à la province d’où provient l’argent.

En vertu du programme fédéral, tout système provincial d’établissement du prix du carbone qui doit être jugé conforme par le gouvernement fédéral doit au moins établir un prix du carbone de 20 $ la tonne d’équivalent en dioxyde de carbone d’ici le 1er janvier 2019. Il doit également y avoir des augmentations progressives chaque année pour atteindre 50 dollars par tonne d’ici 2022. Tel qu’indiqué, la tarification fédérale du carbone s’appliquera aux provinces qui n’ont pas mis en œuvre un système provincial de tarification du carbone qui respecte la norme fédérale de tarification du carbone d’ici le 1er janvier 2019.

Actuellement, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan sont en désaccord. En avril 2018, le gouvernement de la Saskatchewan a entrepris un renvoi à la Cour d’appel de la Saskatchewan pour contester la constitutionnalité du régime fédéral de tarification du carbone. Le 14 octobre 2018, le gouvernement de l’Ontario a fait de même devant la Cour d’appel de l’Ontario. La croyance générale des constitutionnalistes est que le gouvernement fédéral a compétence.

Il est à noter qu’en novembre 2018, un recours collectif a été intenté au Québec pour obtenir réparation contre le gouvernement du Québec en raison de son inaction présumée en matière de changements climatiques. L’action a été intentée par un groupe environnemental qui représente tous les citoyens québécois âgés de 35 ans et moins. Cette affaire fait suite à un certain nombre de recours collectifs intentés aux États-Unis ces dernières années.

La revendication du Québec vise à faire déclarer que le comportement du gouvernement contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés4 (Charte canadienne) et à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne5 (Charte québécoise). En particulier, la revendication allègue que les gouvernements violent le droit à l’intégrité et à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 et le droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte canadienne et les articles similaires de la Charte québécoise.

La demande en est au stade de la procédure. Pour procéder, elle doit être certifiée par la Cour supérieure du Québec. Il n’est pas encore clair à ce stade si la demande sera accueillie.

LA NOUVELLE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DE L’ONTARIO

En juillet 2018, le nouveau gouvernement conservateur de l’Ontario a promulgué une loi qui a annulé 559 contrats éoliens et solaires. Le gouvernement a prétendu que cela permettrait aux contribuables de l’Ontario d’économiser 790 millions de dollars. Deux de ces contrats étaient des contrats éoliens. Le premier était Otter Creek, un projet éolien de 15 MW près de Wallaceberg. Le deuxième était le projet Strong Breeze, un projet de 57 MW près de Belleville. Les autres contrats étaient des contrats solaires plus petits, de sorte que l’énergie éolienne représentait environ 25 % de la capacité d’annulation.

Toutefois, un troisième contrat éolien, le projet White Plains de 18,5 MW dans le comté de Prince Edward, a fait l’objet d’une attention particulière et était assujetti à une loi spéciale. C’est parce que le projet avait reçu un ordre d’exécution (OE). La seule façon d’annuler ce contrat était d’adopter une loi spéciale à cette fin. C’est exactement ce que le nouveau gouvernement a fait.

Les projets éoliens annulés avaient une chose en commun. Ils étaient fortement opposés par la communauté dans laquelle ils se trouvaient. White Plains avait une autre particularité : son OE avait été accordé par le gouvernement précédent au cours de la période électorale. Le nouveau gouvernement a fait valoir qu’il s’agissait d’une situation exceptionnelle et non autorisée. La pratique courante était que, pendant le bref, le gouvernement en place ne devrait pas conclure de nouveaux contrats ou prendre des décisions réglementaires importantes qui pourraient lier la conduite du futur gouvernement.

Bien qu’il y ait eu beaucoup de publicité au sujet de ces annulations, elles ne représentent qu’une petite partie de la capacité des contrats du Programme de tarifs de rachat garantis (TRG) en Ontario. À la fin de 2017, la capacité éolienne totale de l’Ontario était de 2 833 MW. L’éolien annulé ne représentait que 29 MW, soit 1 % du total. Dans le cas de l’énergie solaire, le total des mégawatts contractés pour la SIERE à la fin de 2017 était de 1 659 MW. L’énergie solaire annulée n’était que de 333 MW, soit 20 %. Bref, le nombre de contrats était élevé, mais le volume était faible.

De nombreux lecteurs, en particulier les promoteurs, s’intéressaient aux modalités de la rémunération. Celles-ci ont été établies dans le règlement et prévoyaient essentiellement un arbitrage exécutoire en cas de différend. Il convient de noter que la plupart de ces contrats annulés n’étaient pas parvenus à l’OE et que, par conséquent, les demandeurs n’avaient pas droit au manque à gagner. La rémunération se limitait en grande partie aux frais engagés.

Il s’agissait toutefois d’un renversement majeur de la tendance à l’investissement dans les énergies renouvelables en Amérique du Nord. Le raisonnement était cependant assez simple. Tout d’abord, la nouvelle énergie était coûteuse. Deuxièmement, la province n’a pas eu besoin de cette énergie étant donné que la consommation de l’Ontario est en baisse depuis un certain nombre d’années.

L’AUDIENCE SUR LA CAPACITÉ DE L’ALBERTA

L’Alberta est la deuxième province canadienne à abolir la production de charbon. Ce n’est pas un exercice pour les faibles d’esprit. En Ontario, cela a mené à l’approbation des contrats de TRG non pas par appel d’offres, mais en fonction de la personne qui est arrivée la première à la porte de la SIERE ou du ministre.

En Alberta, l’Independant System Operator (ISO) a recommandé au nouveau gouvernement élu en 2015 que, compte tenu de l’interdiction proposée de la production d’électricité à partir du charbon, il se tourne vers un marché de capacité pour s’assurer que les lumières restent allumées. Le gouvernement a accepté cette recommandation et a chargé l’Alberta Electric System Operator (AESO) de rédiger les règles nécessaires. L’AUC est chargée d’approuver ces règles. Elle dispose d’un délai de 6 mois à compter de la date de dépôt de la demande pour rendre sa décision.

La demande a été déposée le 31 janvier. La course est lancée. Les témoignages des intervenants doivent être présentés au plus tard le 28 février. L’audience commencera le 22 avril et se terminera le 31 mai. Les plaidoiries finales seront déposées le 21 juin.

Les marchés de capacité ne sont pas nouveaux. Ils sont utilisés dans 25 États américains desservant 150 millions de personnes. Ils sont fondés sur des ventes aux enchères régulières de la capacité par les OTR, sous la surveillance réglementaire des observateurs indépendants du marché et de l’organisme national de réglementation de l’énergie, la FERC.

Il y aura d’importantes leçons à en tirer pour les autres administrations canadiennes. La SIERE de l’Ontario envisagerait l’acquisition de capacité sur le marché pour une partie supplémentaire de ses besoins. En Alberta, toutefois, la province parie sur l’exploitation agricole et s’apprête à transférer la quasi-totalité de son marché de l’énergie vers un marché de capacité. Il y aura des défis à relever, mais la Commission de l’Alberta semble s’en occuper.

FUSIONS ET ACQUISITIONS

L’année 2018 a été marquée par de nombreuses fusions et acquisitions de services publics. La plupart se sont produites en Ontario. Pour la première fois dans l’histoire, les acquisitions ont eu lieu sur les marchés du gaz et de l’électricité.

Le 18 mars 2018, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) a approuvé la fusion entre Entegrus et St. Thomas, l’acquisition de Midland par Newmarket le 23 août, l’acquisition de Collingwood par Epcor le 1er octobre, la fusion de Guelph et d’Alectra le 18 octobre, la fusion de Thunder Bay et de Kenora le 15 novembre et la fusion de Whitby et Veridian le 20 décembre. Ce fut une année chargée.

Une transaction a toutefois été refusée. Le 12 avril, l’acquisition d’Orillia par Hydro One pour 41,3 millions de dollars a été refusée. La CEO a statué que Hydro One n’avait pas réussi à fournir une preuve suffisante que la transaction satisferait au critère de l’absence de préjudice. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission a examiné les hausses tarifaires demandées par Hydro relativement à trois services publics déjà acquis, soit Norfolk Power, Haldiman County Hydro et Woodstock Hydro. Les intervenants ont soutenu que ces hausses tarifaires constituaient une preuve qu’il n’y avait aucune économie de coûts pour les distributeurs précédemment acquis par Hydro One. Hydro One a déposé une requête en révision, mais celle-ci n’a pas été accueillie. Hydro One a par la suite déposé une nouvelle demande accompagnée de preuves supplémentaires visant à satisfaire au critère de l’absence de préjudice. La Commission n’a pas encore statué sur cette demande.

Pour la première fois depuis de nombreuses années, il y a également eu une certaine activité dans le secteur du gaz. La grande nouvelle a été la fusion d’Enbridge Gas Distribution et d’Union Gas, approuvée le 30 octobre, qui a créé un monopole massif de la distribution du gaz dans toute la province. Cependant, en même temps, il y a eu un nouvel arrivant. Il s’agissait d’Epcor, une société albertaine appartenant à la ville d’Edmonton, qui a réussi à obtenir trois concessions de gaz naturel à Kincardine en Ontario, en concurrence avec Union Gas. Epcor a également acheté un petit service public de gaz à Aylmer, en Ontario, appelé Natural Gas Resources (NGR).

Hydro One a fait face à d’autres difficultés en ce qui concerne les acquisitions. Après un an d’essai, il a échoué dans sa tentative d’acheter, au coût de 4,4 milliards de dollars, Avista, une grande compagnie américaine dans le Pacifique Nord-Ouest. Hydro One a fini par payer des frais de résiliation de 103 millions de dollars lorsque cette entente a échoué. Ensemble, les deux entreprises auraient eu plus de 2 millions de clients et se seraient classées au 20e rang des plus grandes entreprises de services publics en Amérique du Nord.

Les parties ont convenu d’annuler la fusion en raison de l’opposition des organismes de réglementation américains dans l’État de Washington. Les organismes de réglementation de l’État s’inquiétaient de l’influence indue du gouvernement de l’Ontario sur les activités d’Hydro One. Le gouvernement de l’Ontario détient 47 % de Hydro One et le nouveau premier ministre de l’Ontario venait de congédier le chef de la direction de Hydro One au motif que sa rémunération annuelle de 6 millions de dollars était trop élevée. Un excellent article de Scott Hempling dans ce numéro décrit l’histoire haute en couleurs.

DEVANT LES TRIBUNAUX

Dans le monde de la réglementation de l’énergie, ce sont les tribunaux qui ont le dernier mot. C’était aussi vrai en 2018 qu’à n’importe quelle autre année. Il en va de même du présent éditorial.

Aucun examen des récents développements devant les tribunaux ne serait complet sans un renvoi au premier article de ce numéro de l’ERQ. Il s’agit de l’article intitulé « Évolution du droit administratif pertinent au droit et à la règlementation de l’énergie en 2018 ». Les lecteurs réguliers sauront que cet article paraît chaque année dans le numéro de fin d’année. C’est un classique. Soigneusement rédigé par David Mullan, le principal avocat administratif du Canada. Tous les organismes de réglementation et les avocats qui comparaissent devant eux sont tenus de le lire.

La présente rétrospective ne reprendra aucun des travaux de David, mais il y a peu d’affaires dignes de mention à l’extérieur du monde du droit administratif. Évidemment, la plus importante cause de l’année a été la décision de la Cour d’appel fédérale d’annuler l’approbation du pipeline Trans Mountain. Cette question a été abordée plus haut. Il n’est pas nécessaire d’en discuter davantage.

Une petite affaire intéressante est la décision rendue par la Cour divisionnaire de l’Ontario le 31 décembre 2018 dans un recours collectif contre Hydro One. Il semble que Hydro One ait commis d’énormes erreurs de facturation et surfacturé certains de ses 1,3 million de clients. Ces clients ont intenté un recours collectif de 100 millions de dollars en dommages-intérêts relativement aux frais en trop. Cependant, le juge des requêtes de 2017 a refusé de certifier le recours collectif en invoquant deux motifs. Tout d’abord, il a dit qu’il n’y avait pas suffisamment de problèmes communs, notant qu’un certain nombre d’essais individuels seraient nécessaires parce que chaque client subissait des montants de dommages différents. La raison la plus importante était cependant la deuxième. Le juge saisi de la requête a statué qu’il existait des recours administratifs et des procédures qui seraient plus efficaces qu’un recours collectif.

En particulier, il a souligné que la CEO avait un processus de traitement des plaintes et que l’un de ses objectifs était de protéger les intérêts des clients en matière de prix. Par conséquent, le juge de paix a conclu que l’on pouvait s’attendre à ce que la CEO réponde aux cas appropriés et offre les mesures de redressement appropriées. La Cour divisionnaire de l’Ontario a souscrit aux conclusions du juge des requêtes et a rejeté l’affaire. Cela pourrait devenir un principe important à l’avenir.

La décision digne de mention suivante est la décision Capital Power6 du juge O’Farrell de la Cour d’appel de l’Alberta. Ce fut une bataille de longue haleine sur la façon de répartir le coût des pertes en ligne. En fin de compte, ce qui est intéressant, c’est le degré de retenue que le tribunal a accordé à l’organisme de réglementation. Pour trouver le remède approprié, l’AUC s’était en quelque sorte engagée dans la tarification rétroactive en procédant à des ajustements rétroactifs – ce qui est généralement interdit dans les affaires de services publics.

Le juge O’Farrell a appuyé avec insistance le principe selon lequel les tribunaux judiciaires devraient s’en remettre aux tribunaux d’experts qui rendent des décisions juridiques dans le cadre de l’expertise spéciale, y compris la détermination de la compétence, comme le rajustement rétroactif des taux, selon lequel une norme de retenue doit être appliquée même pour les véritables questions de compétence. Le juge O’Farrell a fait preuve de retenue à l’égard de la décision de la Commission quant à sa compétence d’ajuster rétroactivement les répartitions des pertes en ligne parce que la fonction et l’expertise essentielles de la Commission consistaient à établir des taux :

Selon les requérants, d’où vient l’interdiction en common law de la tarification rétroactive? Elle est le fruit d’une centaine d’années de réglementation des services publics et de jurisprudence des commissions des services publics dans cette province et ailleurs en Amérique du Nord. Certes, les tribunaux ont contribué à l’élaboration de l’interdiction en invoquant des concepts tels que la présomption contre l’application rétroactive des lois. Mais il est important de comprendre que les raisons sous-jacentes à l’interdiction ne découlent pas uniquement de la common law, ou même du droit législatif. L’interdiction de la tarification rétroactive découle des principes généraux d’équité, de confiance, de certitude et de caractère définitif, que la common law reconnaît, mais qui sont indépendants de la common law. Ce sont des valeurs qui ont gagné de l’importance, non pas à cause de la loi, mais parce qu’elles avaient un sens dans une société juste et ordonnée. Les tribunaux n’ont pas de monopole ni d’expertise particulière en ce qui concerne l’application des principes d’équité. Et c’est ce que la Commission a fait en l’espèce : elle a appliqué les principes d’équité à une fonction (c.-à-d. la tarification) à l’égard de laquelle elle possède une expertise particulière [Traduction]7.

La décision dans l’affaire Capital Power est particulièrement intéressante compte tenu de l’évolution récente de la situation aux États-Unis. La notion de déférence à l’égard des tribunaux administratifs et des organismes de réglementation a commencé avec la décision rendue en 1984 par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Chevron8. Depuis plus de 30 ans, l’affaire Chevron a été appliquée dans un certain nombre de cas par l’égard qui a été accordé aux interprétations législatives des organismes de réglementation de l’énergie. Cela a duré jusqu’en mai 2018 lorsque la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Epic Systems9. Cette décision limitait essentiellement la déférence que les tribunaux accordent aux organismes de réglementation en la limitant à l’interprétation de la loi du pays d’origine – une restriction beaucoup plus étroite que celle qui s’appliquait auparavant.

EN PERSPECTIVE

2019 sera une année de changements majeurs. Deux grandes élections se profilent à l’horizon. Ces questions mises à part, nous savons ceci. Nous aurons probablement un nouvel organisme fédéral de réglementation de l’énergie au Canada, un nouveau marché de capacité en Alberta et une nouvelle CEO.

Ce qui se passe dans le secteur des DL d’électricité au Canada, c’est ce qu’on appelle la carte imprévisible. L’enquête de l’Alberta pourrait être déterminante. Des DL de l’extérieur de la province sont intervenus et nous croyons comprendre qu’ils ont été bien accueillis. Imaginez un peu ça. La première enquête nationale sur les changements technologiques et réglementaires. Le nouveau président de l’AUC a certainement repris le flambeau de Willie Grieve. C’est là que nous devrions terminer cette rétrospective de fin d’année. Le premier article de ce numéro de l’ERQ est un Mémorial à Willie. Les mots sont bien dits.

  1. Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, ch 19, art 52.
  2.  Projet de loi C-69, Loi édictant la Loi sur l’évaluation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, 1re session, 42e législature, 2018.
  3.  Projet de loi 4, Loi de 2018 annulant le programme de plafonnement et d’échange (LAPE), 1re session, 42e législature, Ontario, 2018.
  4.  Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (RU), ch 11.
  5.  Charte québécoise des droits et libertés de la personne, RLRQ ch C-12.
  6.  Capital Power v Alberta (Utilities Commission), 2018 ABCA 437.
  7.  Ibid au para 45.
  8.  Chevron USA Inc v Natural Resources Defense Council, 467 US 837 (1984).
  9.  Epic Systems Corp v Lewis, 584 US __ (2018).

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