Concurrence dans le transport d’énergie aux États-Unis : la nouvelle réalité

Les lecteurs d’un certain âge ont appris tout jeunes que le « transport d’énergie est un monopole naturel ». Si cela est vrai, alors la « concurrence dans le transport d’énergie » est un oxymore, non? Erreur, a dit la Federal Energy Regulatory Commission (FERC). Dans l’Ordonnance 1000, la FERC a ordonné aux propriétaires d’installations de transport d’énergie titulaires de supprimer les clauses de contrat rédigées pour bloquer leurs concurrents. Plusieurs propriétaires toujours réticents ont alors contesté la directive de suppression de la FERC selon des motifs relatifs à la cause Mobile-Sierra. Deux cours d’appel viennent tout juste de confirmer l’ordonnance de la FERC. Est-ce que la voie est finalement libre pour mettre en place une vraie concurrence dans le secteur du transport d’énergie? Non. Commençons par une mise en contexte.

Demi-siècle de difficultés

Cela fait presque que 50 ans que le Congrès a autorisé la Nuclear Regulatory Commission (NRC) à obliger les exploitants de centrales nucléaires à offrir un accès au transport d’énergie non discriminatoire à leurs concurrents1. Il y a près de 30 ans que la FERC a découvert qu’une fusion régionale serait anticoncurrentielle à moins d’être conditionnée par un accès non discriminatoire au transport d’énergie2. Cela fait presque 25 ans que l’Energy Policy Act of 1992 (loi sur la politique énergétique de 1992 des É.-U.) autorise la FERC à ordonner directement un accès non discriminatoire au transport d’énergie (bien que cela soit réservé uniquement à des circonstances bien définies). Il y a maintenant 20 ans que la FERC a émis les ordonnances 888 et 889 ont permis d’arriver à la conclusion que les « détenteurs » d’installations de transport d’énergie ont discriminée indûment et de façon régulière contre ceux n’en détenant pas et, par conséquent, ont obligé chaque service public détenu par des investisseurs de déposer des [Traduction]« tarifs de transport d’énergie à accès ouvert »3. Il y a maintenant 16 ans que la FERC est arrivée à la conclusion, dans l’Ordonnance 2000, que les organisations régionales peuvent réduire la discrimination4. Il y a près de 10 ans depuis que la FERC a conclu, dans son Ordonnance 890, que les 100 pages de tarifs demandés aux détenteurs d’installations de transport d’énergie étaient insuffisantes pour empêcher la discrimination en matière d’accès ou de fixation des prix5. Et cela fait maintenant cinq ans que la FERC a conclu, dans son Ordonnance 1000, que même après les ordonnances 888, 889, 890 et 2000, les détenteurs d’installations de transport d’énergie pouvaient toujours discriminer, à moins d’avoir un processus de planification régionale dans lequel les acheteurs pourraient décrire leurs besoins et des fournisseurs d’installations de transport d’énergie concurrentiels pourraient offrir des solutions6.

Toutefois, l’Ordonnance 1000 arrive également à la conclusion que toutes ces ordonnances (888, 889, 890, 2000 et même la 1000) étaient insuffisantes pour assurer la concurrence en raison d’un seul gros grain de sable dans l’engrenage : le « droit de premier refus » des titulaires. Par conséquent, l’Ordonnance 1000 retirait ce droit. Ne voulant toujours pas faciliter les choses à la concurrence, les titulaires d’installations de transport d’énergie se sont tournés vers trois tribunaux pour défendre leurs droits, toutes des causes perdues. Au baseball, trois prises et vous êtes retiré, mais ce n’est pas nécessaire le cas en ce qui concerne la règlementation des services publics. Voyons pourquoi.

Levons le voile sur le droit de premier refus

Pour les nouveaux arrivants dans notre domaine : une organisation de transport d’énergie régionale (OTER) est une organisation sans but lucratif, formée bénévolement par des propriétaires d’installations de transport d’énergie, mais dirigée par un conseil légalement indépendant de ces propriétaires (et de tous les autres participants du marché). La « région » couverte par une OTER (parfois nommée « empreinte ») est définie par les territoires de service de transport d’énergie des propriétaires de ces derniers qui forment ou se sont joints à l’OTER. Dans cette région, l’OTER est le fournisseur légal des services de transport d’énergie, contrôlant l’exploitation et la planification.

L’OTER a le contrôle de l’exploitation et de la planification, car chaque propriétaire de service de transport d’énergie a signé des contrats standards lui accordant ce contrôle. En vertu de ces contrats, chaque propriétaire de service de transport d’énergie conserve ses installations, mais doit respecter les directives émises par l’OTER. Les directives de l’OTER peuvent comprendre des ordonnances de construire ou d’agrandir des installations de transport d’énergie, à l’endroit et au moment que l’OTER le juge nécessaire.

Les contrats de l’OTER ont été rédigés en grande partie par les propriétaires d’installations de transport d’énergie, car la décision de former les OTER était la leur. Comme tout intervenant rationnel, ils ont rédigé les libellés pour servir leurs intérêts. Le transport d’énergie est une source de profit et, en raison des caractéristiques de monopole naturel, une source potentielle de pouvoir sur le marché. (Le « pouvoir sur le marché » est la capacité d’exiger des prix au-dessus des niveaux concurrentiels, pour une période de temps soutenue, sans pertes inacceptables de ventes.) Afin de conserver ces bénéfices pour eux, les propriétaires initiaux d’installations de transport d’énergie ont inscrit dans les contrats un « droit de premier refus ». Si l’OTER a déterminé le besoin d’une nouvelle installation de transport d’énergie au sein d’un territoire de service d’un propriétaire, le droit de construire et de détenir l’installation revient à ce propriétaire, même si des concurrents souhaitent faire le travail et sont en mesure de le faire. (Le droit de premier refus s’applique uniquement aux installations requises à des fins « régionales », contrairement à des installations plus « locales ».)

Au départ, la FERC a approuvé ces dispositions. Mais en 2011, la FERC a réalisé que même si le transport d’énergie est un service à monopole naturel, il pouvait y avoir une concurrence pour fournir ce service. Accorder au titulaire un droit de refus automatique de construire, alors que d’autres peuvent le faire mieux, plus rapidement et à moindre coût, n’était pas conforme à l’objectif de protection des consommateurs de la Federal Power Act. Par conséquent, dans l’Ordonnance 1000, la FERC retient que le droit de  refus va à l’encontre de l’interdiction règlementaire contre des « pratiques » qui sont « injustes et déraisonnables » ou « discriminatoires sans raison ou préférentielles ». Les propriétaires d’installations de transport d’énergie ont dû supprimer le droit de premier refus des contrats.

La FERC avait l’objectif à deux volets suivant : « de permettre aux développeurs non-titulaires d’entrer en concurrence et de proposer des solutions de transport d’énergie [régionales] plus efficaces et abordables » et « d’éliminer des pratiques qui ont le potentiel de miner l’identification et l’évaluation d’autres solutions plus efficaces et abordables pour combler les besoins d’installations de transport d’énergie régionales ». Le raisonnement de la FERC était évident : « [C]e n’est pas dans l’intérêt économique des fournisseurs d’installations de transport d’énergie d’élargir leur réseau pour permettre l’accès à des sources d’approvisionnement de concurrents » ou « de permettre à de nouveaux arrivants de développer des installations de transmission, même si les propositions soumises par ces nouveaux entrants se traduisaient par une solution plus efficace et abordable des besoins de la région ». En effet, pourquoi un nouveau joueur potentiel ferait-il même une proposition, si le titulaire ayant le droit de premier refus peut simplement la copier et la mettre en œuvre? Le droit de premier refus empêche la concurrence et il réduit le nombre d’idées novatrices. Comme en a fait mention la cour d’appel du District de Columbia, appuyant la FERC : « Non seulement les non-titulaires ne seraient pas en mesure de récupérer la totalité des avantages de leur proposition, mais ils ne pourraient même pas être en mesure de récupérer les coûts associés à l’identification du besoin et à la préparation de la proposition visant à le combler »7.

Protection de Mobile-Sierra : non disponible pour les clauses anticoncurrentielles

Les titulaires avaient encore une chance. L’Ordonnance 1000 faisait en sorte de les inviter à plaider, dans le cadre d’observations subséquentes, que l’élimination du droit de premier refus allait à l’encontre de la doctrine Mobile-Sierra. Une interprétation juridique de la Federal Power Act, la doctrine Mobile-Sierra restreint l’autorité de la FERC de modifier des contrats sous sa compétence sans le consentement des parties du contrat. Cette restriction prend la forme d’une présomption réfutable : lorsque des « parties intéressées » négocient librement un contrat de façon indépendante, la FERC doit présumer que les modalités du contrat sont « justes et raisonnables » et, par conséquent, légitimes. La présomption peut être réfutée (c.-à-d. la FERC peut déclarer le contrat illégal) uniquement si les modalités causent un « dommage grave » au public (ou, comme la Cour suprême l’a déjà énoncé, seulement dans des circonstances de « nécessité publique sans équivoque »)8.

Par conséquent, les propriétaires d’installations de transport d’énergie ont plaidé la doctrine Mobile-Sierra. Dans trois dossiers devant les tribunaux différents, ils ont accusé la FERC d’éliminer le droit de premier refus sans conclure à un « dommage grave ». Ils ont perdu. La Cour d’appel du District de Columbia a retenu les deux conclusions clés de la FERC. Premièrement, le droit de premier refus n’était pas « le produit de négociations non consensuelles entre des parties intéressées poursuivant des intérêts indépendants ». (Selon la FERC, les « négociations » n’étaient pas indépendantes; elles mettaient en cause « des parties ayant le même intérêt, nommément, se protéger entre elles contre la concurrence dans le développement d’installations de transport d’énergie ».)  Deuxièmement, la protection de contrat de la doctrine Mobile-Sierra « ne s’appliquait pas à des mesures anticoncurrentielles »; plus particulièrement, « elle décourageait les non-titulaires à identifier et à engager des ressources pour combler des besoins d’installation de transport d’énergie avec des solutions abordables »9.

Cela nous amène à l’opinion de la Cour d’appel pour le septième circuit, présentée par le juge Posner. « Personne n’aime la concurrence. […] [Les titulaires] ne souhaitent pas baisser les prix d’une soumission pour construire de nouvelles installations afin de demeurer concurrentiels. […]  [L]es droits de contrat ne sont pas sacrés, particulièrement lorsqu’ils éliminent la concurrence. »  Oui, le devoir de réserve de la doctrine Mobile-Sierra est dû à des parties qui sont « intéressées »; et oui, les titulaires étaient intéressés; « assez intéressés pour comprendre les avantages d’un contrat qui protégerait chaque partie contre la concurrence dans la création de nouvelles installations ».   Le juge Posner a conclu : « [U]n contrat dans lequel des parties cherchent à se protéger contre la concurrence de tiers (les cartels sont des exemples parfaits de tels contrats) » ne mérite pas d’être soumis au devoir de réserve de la doctrine Mobile Sierra10.

Incertitude juridique : les États, encore

Deux opinions unanimes soutenues. Est-ce que la voie de la concurrence en matière d’installations de transport d’énergie est maintenant libre? Non. Ce que les titulaires ont perdu devant la FERC, ils pourraient le récupérer des États. La FERC détient le pouvoir de supprimer le libellé anticoncurrentiel de tous les contrats sous sa compétence. Elle n’a pas le pouvoir de supprimer le libellé anticoncurrentiel des lois des États.

Rédiger cette dernière phrase m’a pris seulement deux minutes : « Aucune installation de transport d’énergie ne peut être construite et détenue sur le territoire d’un service par une autre entité qu’un service public obligé de servir les consommateurs au détail de ce territoire de service. »  En promulguant ces 26 mots, un État protégerait les monopoles du secteur du transport de l’énergie contre la concurrence. Les effets de la hausse des coûts reposeraient sur ses propres citoyens (consommateurs industriels, commerciaux et résidentiels), mais également sur les clients de l’ensemble de la région (car nous parlons d’installations régionales). Si chaque État fait la même chose, chaque État protège ses propres installations contre la concurrence de services publics d’autres États; les États auront encore une fois formé un peloton d’exécution circulaire11.

Une loi d’état entrant directement en conflit avec les politiques de la FERC ferait sourciller les juristes. Jusqu’à quel point, personne ne le sait. L’analyse de préemption qui a fait tomber les recours du New Jersey et du Maryland (en particulier, leur soutien financier des producteurs choisis présentant des soumissions dans des marchés régionaux)12 ne s’appliquerait pas. Ces États sont entrés dans le domaine de la FERC, en établissant réellement des prix sous la compétence de la FERC. Ici, les États ont plaidé qu’ils restaient à l’intérieur de leur propre domaine, en décidant qui peut détenir des installations qui desservent leurs résidents.

Espérons que dans cette saison de patriotisme, nous n’oublierons pas notre serment d’allégeance : « one nation under all, indivisible ».

* Avocat et témoin expert, Hempling a conseillé des organismes de règlementation et législatifs de partout en Amérique du Nord et est souvent appelé à prononcer des discours à des congrès internationaux. Il est professeur auxiliaire à Georgetown University Law Center, où il enseigne des cours en litiges et sur la règlementation des services publics. Son livre, Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction, duquel certaines portions du présent article ont été tirées, a été publié par l’American Bar Association en 2013. Il est également l’auteur d’un livre d’essais sur l’art de la règlementation, «Preside or Lead? The Attributes and Actions of Effective Regulators». Hempling a obtenu un baccalauréat avec distinction de Yale University (1) en économie et en sciences politiques et (2) en musique, ainsi qu’un doctorat en jurisprudence avec grande distinction de Georgetown University Law Center. Pour plus de détails, voir www.scotthemplinglaw.com.

  1. Voir Pub. L. 91-560, 84 Stat. 1472 (1970) (ajout de la Section 105(c) à l’Atomic Energy Act of 1954, obligeant la NRC à mener des études antitrust des exploitants faisant des demandes de centrale nucléaire et autorisantla NRC à mettre des conditions sur les licences d’exploitation pour empêcher une conduite anticoncurrentielle, y compris empêcher l’accès à une source d’électricité alors vue comme « trop petite pour la calculer »). La NRC a imposé ces conditions dans les ordonnances Consumers Power Co., 6 N.R.C. 887, 1036-44 (1977); Toledo Edison Co. & Cleveland Elec. Illuminating Co., 10 N.R.C. 265, 327-34 (1979); et Alabama Power Co., 13 N.R.C. 1027, 1061 (1981).
  2. Utah Power & Light & PacifiCorp, 45 F.E.R.C. para. 61 095 (1988).
  3. Promoting Wholesale Competition Through Open Access Non-Discriminatory Transmission Services by Public Utilities, Recovery of Stranded Costs by Public Utilities and Transmitting Utilities, Order No. 888, 75 F.E.R.C. para. 61 080 (1996).
  4. Regional Transmission Organizations, Order No. 2000, 89 FERC 61,285 (1999).
  5. Preventing Undue Discrimination and Preference in Transmission Service, Order No. 890, F.E.R.C. Stats. & Regs. para. 31,241, 72 Fed. Reg. para. 12,266 (2007).
  6. Transmission Planning and Cost Allocation by Transmission Owning and Operating Public Utilities, Order No. 1000, 136 FERC para. 61 051 (2011).
  7. South Carolina Public Service Authority v. FERC, No. 12-1232 (D.C. Cir. 15 août 2014).
  8. La doctrine est nommée après une paire d’opinions de la Cour suprême publiées en 1956, la même année où Don Larsen a lancé le seul match parfait au baseball durant la Série mondiale (le 8 octobre 1956 – la date de mon permis de conduire). Voir United Gas Pipe Line Co. v. Mobile Gas Corp., 350 U.S. 332 (1956), and FPC v. Sierra Pacific Power Co., 350 U.S. 348 (1956).  Voir également Permian Basin Area Rate Cases, 390 U.S. 747, 822 (1968) (« Setting aside a contract rate requires a finding of unequivocal public necessity » [La mise en place d’un tarif contractuel exige d’arriver à la conclusion d’une nécessité publique sans équivoque]). La doctrine a été publiée à nouveau, avec plus de clarté, dans Morgan Stanley Capital Group, Inc. v. Pub. Util. Dist. No. 1 of Snohomish County, 554 U.S. 527 (2008).
  9. Oklahoma Gas & Electric Co. v. FERC, No. 14-1281, slip opinion au para 10 (D.C. Cir. 1 juillet 2016).
  10. MISO Transmission Owners v. FERC, No. 14-2153 (6 avril 2016).  Dans une cause séparée, des filiales de First Energy, Public Service Electric & Gas, Exelon, et PPL Corp. ont également contesté la décision de la FERC. La Cour d’appel du District de Columbia a rejeté cette contestation en raison du manque de compétence, arrivant à la conclusion que les demandeurs avaient échoué à préserver ses arguments devant la FERC. American Transmission Systems, Inc., et al. v. Federal Energy Regulatory Commission, Nos. 14-1085 and 14-1136 (D.C. Cir. 1 juillet 2016).
  11. Pour voir d’autres exemples, consulter ces essais : FPA “Power Grab”:  On Whose Foot is the Shoe?  et Maryland’s Supreme Court Loss:  A Win for Consumers, Competition and States.
  12. Voir Maryland’s Supreme Court Loss:  A Win for Consumers, Competition and States.

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