La Cour suprême donne son feu vert à la réponse à la demande : et maintenant?

La Cour suprême des États-Unis a confirmé l’ordonnance 7451 de la Federal Energy Regulatory Commission (« ci après FERC»). L’ordonnance oblige les opérateurs des marchés de gros de l’énergie à traiter les offres de modification de la demande de la même manière que l’offre des producteurs. Un traitement comparable exige que les soumissionnaires de modification de la demande : a) soient autorisés à concurrencer les producteurs du «  fournisseur » du marché; b) reçoivent la même indemnisation que les soumissionnaires producteurs – le coût marginal en fonction du lieu (CML). Ce droit au CML ne s’applique qu’aux offres concernant les ressources de la demande qui équilibreront l’offre et la demande de façon fiable et qui réussiront un test d’« efficacité par rapport au coût » conçu pour s’assurer que les acheteurs en gros ne pâtissent pas des offres de modification de la demande. (La réponse à la demande est rentable lorsque « les réductions du CML obtenues par la mise en place d’une réponse à la demande provoquent une réduction du montant total que les consommateurs paient pour les ressources, qui est plus importante que l’argent dépensé pour l’acquisition de ressources en réponse à la demande au CML2 ».)

L’avis de la Cour est fondé sur deux décisions importantes. D’abord, l’appel d’offres de modification de la demande est une « pratique […] qui nuit » aux taux de gros – une terminologie utilisée dans le Federal Power Act (« ci après FPA ») pour définir les compétences de la FERC. Puisque la FERC a agi dans son domaine d’activités de gros, elle n’a pas empiété sur le secteur de vente au détail des États, selon la FPA. Puis, la Cour a statué que les compétences de la FERC concernant le CML n’étaient pas « arbitraires et capricieuses »3.

Maintenant que ces deux questions sont réglées, que peuvent faire les décideurs politiques pour veiller à ce que les réponses à la demande rentables atteignent le marché et fassent l’objet d’une indemnisation appropriée?

Structure de marché et indemnisation

Structure de marché : La structure de marché regroupe les consommateurs et les revendeurs autorisés à vendre la réponse de la demande, les obstacles à l’entrée et la sortie du marché auxquels ils font face, et les entités à qui ils peuvent vendre. À ce sujet, la Cour suprême n’a traité qu’un seul aspect : la FERC peut obliger les opérateurs de marché à permettre aux fournisseurs de répondre à la demande de vendre sur les marchés de gros organisés. Cette clarification juridique ouvre la porte aux États, du moins dans trois secteurs. Premièrement, les États peuvent déterminer si les consommateurs ont le droit de vendre la réponse à la demande. (Il se peut qu’un État n’ait aucun programme de réponse à la demande.) Deuxièmement, les États déterminent le type d’entreprise (par exemple un service public ou non), le cas échéant, qui peut solliciter et regrouper les offres de réponse à la demande des consommateurs afin de procéder à une revente sur le marché de gros. Troisièmement, les États déterminent si la réponse à la demande, une fois regroupée, devrait uniquement servir à réduire la charge des services publics locaux (qu’on appelle parfois la « réponse à la demande au détail ») ou si elle devrait plutôt (ou également) être vendue sur les marchés de gros organisés (qu’on appelle parfois la « réponse à la demande en gros »).

Indemnisation : L’indemnisation du vendeur porte sur le prix que les acheteurs paient, et sur la distribution des revenus qui en découlent parmi les participants sur le marché (p. ex. le consommateur, le revendeur et les services publics locaux). Les vendeurs des ressources de la demande, comme tous les vendeurs, tentent d’obtenir le prix le plus élevé. L’ordonnance 745 ne traite que d’une seule option : l’indemnisation que les vendeurs de réponse à la demande en gros obtiennent des acheteurs d’électricité en gros, sur les marchés de gros organisés. Sur ces marchés, le prix varie selon la concurrence (et, dans le cas des marchés peu concurrentiels, il est soumis aux limites de prix approuvées par la FERC).   Par contre, le vendeur de réponse à la demande en gros peut préférer vendre au détail – gérant la consommation par rapport à la consommation anticipée et recevant une indemnisation des services publics locaux, établie par la commission d’État. Le prix de détail de la réponse à la demande peut être plus élevé que celui en gros, par exemple, si l’État remplace le prix moyen par des tarifs variant selon le temps d’utilisation (ce que tous les États devraient faire pour qu’à un certain moment, le prix corresponde au coût actuel). Les États doivent donc répondre à cette question clé : les fournisseurs de réponse à la demande (les consommateurs ou leurs revendeurs) doivent-ils uniquement la vendre au détail aux services publics (auquel cas c’est l’État qui fixe le prix), ou doivent-ils également (ou plutôt) la vendre sur les marchés de gros (auquel cas ce sont les marchés autorisés par la FERC qui fixent le prix)? Les deux options méritent d’être étudiées; en fait, les États les plus ouverts permettront ces deux cas de figure afin de laisser le choix aux consommateurs. Toutes les options au sujet de la structure de marché et de l’indemnisation du vendeur sont présentées sous forme de schéma à la fin de cet article.

 

Le marché a besoin de clarté et ce rapidement. En raison des multiples solutions concernant la structure de marché et l’indemnisation au sein des États ou entre eux et à l’échelle fédérale : il existe bien des risques de confusion et litigieux. Toutefois, il est possible d’avoir des solutions communes. Les organismes de réglementation éclairés laisseront tomber l’aspect gagnant-perdant (opposition entre les États et l’État fédéral) et se concentreront sur les acteurs de réglementation les mieux placés pour prendre les décisions. Les législateurs éclairés s’efforceront de mettre à jour la disposition incommode et désuète de 80 ans de la FPA concernant la répartition des compétences étatiques et fédérales, afin de privilégier les meilleures solutions. Ainsi, les avantages économiques dus aux consommateurs ne seront pas retardés, ou pire, engloutis dans les honoraires d’avocats spécialistes en appel.

Le veto des États

L’ordonnance 745 limite les options offertes aux vendeurs de réponse à la demande en empêchant les opérateurs des marchés de gros d’accepter les offres de réponse à la demande provenant d’États qui interdisent la participation des consommateurs – même si ces offres sont plus rentables. La Cour a cité ce veto pour appuyer sa décision soutenant que la FERC n’avait pas empiété sur le secteur de vente au détail des États. Elle a cependant indiqué, d’après ce que j’ai lu, que l’ordonnance 745 aurait été maintenue sans la disposition de veto. La FERC est donc libre de supprimer le veto. Si elle décide de le faire, la réponse à la demande pourra jouer son rôle de protection des consommateurs en régulant les prix de gros.

En estimant que le veto des États n’était pas nécessaire au maintien de l’ordonnance 745, la Cour a mis la FERC dans une position délicate (très délicate, selon moi). La FERC a justifié l’ordonnance 745 en affirmant qu’en l’absence d’offres provenant de ressources de la demande, les prix de production de gros ne respecteraient pas les exigences de la FPA spécifiant que les tarifs de gros doivent être « justes et raisonnables ». Selon la FERC, sans la réponse à la demande les prix de gros seraient plus élevés que nécessaire, enrichissant les vendeurs d’énergie aux dépens des consommateurs. Par contre, la réponse à la demande et la gestion de la consommation par rapport à la consommation anticipée font baisser les prix de gros. Ainsi, payer les consommateurs pour qu’ils adaptent leur consommation augmente l’efficacité économique, tant que ces paiements reviennent moins chers que les économies totales réalisées grâce à la baisse des prix. (C’est là l’essence même des tests d’« efficacité par rapport au coût » de la FERC.)

Permettre aux États de limiter l’entrée en fonction de la réponse à la demande entraîne l’effet opposé : les prix augmentent inutilement et de façon illégitime. Le point de vue du juge Scalia a facilement confirmé cette idée : « Si pousser les consommateurs au détail à participer aux transactions de réponse à la demande de gros est nécessaire pour obtenir des prix de gros “justes et raisonnables”, comment la FERC peut-elle, en respectant son mandat législatif , autoriser les États à contrecarrer cette participation?4 »

La FERC a donc deux options. La première consiste à supprimer le veto des États, pour que les opérateurs des marchés de gros puissent accepter (et soient obligés d’accepter) les ressources de la demande provenant des consommateurs de tous les États. Les consommateurs seraient autorisés par le gouvernement fédéral à proposer de la réponse à la demande, et les États n’auraient pas le droit d’intervenir. Les consommateurs des États n’apposant pas de veto n’auraient donc pas à payer les prix de gros augmentés de façon illégitime par les États en apposant un. La deuxième option de la FERC est plus extrême : décider que les prix des marchés de gros dans les États apposant un veto ne sont plus légitimes lorsque ce veto vise à empêcher la réponse à la demande de baisser les prix pour qu’ils deviennent « justes et raisonnables ». Les producteurs de gros de ces États devraient donc vendre à des prix établis ou limités par la FERC, en fonction de l’évaluation des coûts.

La FERC ne peut en aucun cas se contenter de ne rien dire. La FPA n’autorise pas la FERC à obtenir des faveurs de certains États et défavoriser d’autres. Et comme l’a déclaré la Cour suprême, la FPA « rend illégitimes tous les tarifs qui ne sont pas justes et raisonnables, et n’autorise même pas un faible degré d’illégitimité5 ».

Erreur par inadvertance : signification du terme « commerce inter-États »

Il est toujours impressionnant de voir une cour qui a compétence générale de s’exprimer clairement et précisément sur un caractère très technique. Le point de vue de la Cour suprême incarne ces qualités de clarté et de précision, à une exception près.

Une disposition relative à la compétence de la FPA (alinéa 201[b][1]) attribue à la FERC tout pouvoir concernant, entre autres, « la vente d’électricité de gros dans le commerce inter-États ». Le terme « commerce inter-États » pose régulièrement problème aux personnes qui ont affaire à la FPA, et occasionne aussi des difficultés à la Cour dans ce cas-là. Au moment d’établir le contexte législatif, l’opinion majoritaire, voulant certainement faire référence au commerce inter-États, a affirmé : « […] la Commission ne doit pas réglementer […] les ventes en gros au sein d’un même État […] ». Cette affirmation est légalement incorrecte. Comme l’apprennent tous les praticiens de la FPA lors de leur première semaine de travail, les transactions régies par la FPA ayant lieu dans chaque État (sauf en Alaska, Hawaï et au Texas) font partie du « commerce inter-États », même si leur origine et leur destination contractuelles se trouvent dans le même État. La raison de cette disposition a été donnée par la Cour suprême elle-même, dans une affaire historique impliquant des ventes en gros à l’intérieur de la Floride. Respectant la Federal Power Commission (la prédecesseure de la FERC), la Cour a jugé que puisque le réseau de transport national est interconnecté à travers différents États, les électrons de plusieurs États se mélangent, ce qui fait que toutes les transactions font partie du « commerce inter-États »6. Plus récemment, la Cour a déclaré que « l’électricité qui entre dans le réseau fait immédiatement partie d’un vaste bassin d’énergie qui se déplace constamment entre les États7 ».

L’erreur de la Cour n’a eu aucune incidence sur son raisonnement, mais il serait déstabilisant (en ce qui concerne les lois, les politiques et les contrats commerciaux) que les personnes cherchant à saper l’autorité de la FERC considèrent cette erreur de rédaction comme une décision légale.

Alfred Kahn

Le professeur Kahn a eu une vie heureuse. Il doit maintenant sourire du paradis puisque (a) la Cour suprême a cité son traité, The Economics of Regulation: Principles and Institutions; et (b) dans l’ordonnance 745, la FERC s’est appuyée sur ses commentaires défendant le CML par rapport aux autres formes d’indemnisation. Il est mort quatre mois après cette publication, à 93 ans, sans avoir pu voir le fruit de sa dernière contribution8.Comme il était aussi sûr de lui que brillant, il avait certainement prévu tout cela.

Structures de marché pour répondre à la demande : six options

 

 

* Avocat et témoin expert, Hempling a conseillé des organismes de réglementation et législatifs de partout en Amérique du Nord et est souvent appelé à prononcer des discours à des congrès internationaux. Il estprofesseur auxiliaire à Georgetown University Law Center, où il enseigne des cours en litiges et sur la réglementation des services publics. Son livre, Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction, duquel certaines portions du présent article ont été tirées, a été publié par l’American Bar Association en 2013. Il est également l’auteur d’un livre d’essais sur l’art de la réglementation, Preside or Lead? The Attributes and Actions of Effective Regulators. Hempling a obtenu un baccalauréat avec distinction de Yale University (1) en économie et en sciences politiques et (2) en musique, ainsi qu’un doctorat en jurisprudence avec grande distinction de Georgetown University Law Center. Pour plus de détails, voir www.scotthemplinglaw.com.

  1. FERC v Electric Power Supply Assn, 577 US (2016); voir Demand Response Compensation in Organized Wholesale Energy Markets, Order No 745, 134 FERC 61,187 (15 Mars 2011).
  2. La FERC définit et explique laréponse à la demande dans ses règlements et ordonnances. La réponse à la demande consiste en une réduction de la consommation d’énergie électrique par les consommateurs, par rapport à leur consommation prévue, et ce, en réponse à une augmentation du prix de l’électricité ou à des mesures incitatives destinées à diminuer la consommation d’électricité. 18 CFR 35.28(b) (4) (2010). Une ressource de réponse à la demande est une ressource capable de fournir une réponse à la demande. 18 CFR 35.28(b) (5). « La réponse à la demande, lorsque les consommateurs réduisent leur consommation d’électricité à un degré d’utilisation normale en réaction aux signaux de prix, s’effectue de deux manières : (1) les consommateurs réduisent la demande en réagissant aux prix de détail basés sur les prix de gros (parfois appelée la demande sensible aux prix) et (2) les consommateurs fournissent une réponse à la demande qui agit à titre de ressource sur les marchés de gros organisés de l’énergie pour équilibrer l’offre et la demande. » Ordonnance 745 au para 9.
  3. Ibid à la p 14.
  4. Ibid à la p 9.
  5. Federal Power Comm. v Texaco Inc, 417 US 380, 399 (1974).
  6. Voir Florida Power Comm. v Florida Power & Light Co, 404 US 453 (1972).
  7. New York v Federal Energy Regulatory Commission, 535 US 1, 7 (2002). Les exceptions sont les transactions ayant lieu à Hawaï et en Alaska (bien sûr) et au Texas. En ce qui concerne l’exception du Texas, voir Regulating Public Utility Performance: The Law of Market Structure, Pricing and Jurisdiction, 2013, no 117, p. 393. Pour un point de vue différent sur le commerce inter-États dans le cadre de la FPA, voir Frank Lindh et Thomas Bone, « State Jurisdiction over Distributed Generators », Energy Law Journal, 2013, Vol. 34, no 2.
  8. Voir mon article sur Alfred Kahn (1917-2010) en ligne : ScottHemplingLaw.com <http://www.scotthemplinglaw.com/essays/alfred-kahn>.

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