Un requiem pour la présomption de prudence après OPG et ATCO

I. Introduction

Il a déjà été d’une opinion répandue que les coûts prévisionnels devaient être examinés par divers organismes de règlementation des services publics, comme l’Alberta Utilities Commission (auparavant appelée l’EUB) ou la Commission de l’énergie de l’Ontario, selon un critère de raisonnabilité orienté vers l’avenir dont le fardeau de la preuve incombait au service public, alors que les coûts déjà engagés devaient être examinés en vertu d’un critère de présomption de prudence1. Ce point de vue n’est plus valide à la suite des décisions complémentaires d’ATCO Gas and Pipelines c Alberta (Utilities Commission) (ATCO)2 et d’Ontario (Commission de l’énergie) c Ontario Power Generation Inc. (OPG)3. La Cour suprême a conclu que les organismes de règlementation pouvaient examiner les coûts, peu importe qu’ils soient déjà engagés ou prévisionnels, selon le critère conforme à la loi ou raisonnable de leur choix4.

Le présent article porte sur la jurisprudence en ce qui concerne la question de prudence. Nous constatons que bien que les tribunaux aient suggéré que la présomption de prudence était une doctrine du droit relatif aux services publics, celle-ci n’a jamais eu grand effet en réalité. Cela renforce le point selon quoi après ATCO et OPG, aucun changement fondamental à la politique de règlementation n’est prévu. Nous concluons en arguant que les décisions règlementaires continueront de faire la part des choses entre les intérêts des consommateurs et des services publics comme elles l’ont toujours fait. En fait, le retrait de la doctrine pourrait même aider les services publics sur le long terme.

II. Le critère d’investissement prudent – la jurisprudence

a. L’expérience américaine

Avant d’examiner la jurisprudence canadienne, il importe d’ouvrir une brève parenthèse sur l’expérience américaine afin d’expliquer d’où provient le terme de critère ou de règle d’« investissement prudent ». Le critère d’investissement prudent a d’abord été proposé par le juge Brandeis de la Cour suprême des États-Unis dans sa dissidence concordante dans Southwestern Bell Telephone Co v Public Service Commission of Missouri5. Toutefois, le juge Brandeis n’avait pas proposé le critère comme méthode possible pour accorder aux services publics une présomption de prudence, mais plutôt comme une méthode plus facile et plus sensible de déterminer un rendement équitable à accorder aux services publics. À cette époque, le critère consistait à savoir si les taux accordés aux services publics étaient fondés sur une valeur équitable de la propriété des services publics, un critère qui, selon Brandeis, n’était pas « fiable sur le plan juridique et économique6 ». Le but du critère proposé par Brandeis était de passer d’une approche axée sur la juste valeur marchande des services publics à une approche axée sur les coûts historiques.

La Cour suprême des États-Unis a adopté le point de vue de Brandeis, s’écartant de valeur marchande équitable comme point de base pour l’établissement de taux dans FPC v Hope Natural Gas Co7. La Cour a soutenu que l’organisme de règlementation n’était pas tenu d’utiliser une formule précise pour déterminer les taux8 et que ce qui importait était que les taux accordés étaient suffisants pour le maintien de l’intégrité financière du service public, l’attrait de capitaux et la compensation des investisseurs pour les risques encourus lorsqu’ils ont investi dans le service public9. Bien que la Cour ait cité la dissidence de Brandeis pour cette proposition, elle n’a pas adopté de présomption de prudence pour les coûts historiquement engagés.

En effet, de nombreuses années plus tard, la Cour dans Duquesne Light Co v Barasch10a réitéré qu’il n’y avait pas de théorie unique prescrite par la Constitution pour établir les taux. La Cour dans Duquesne a maintenu le rejet de millions de dollars dépensés pour une série de centrales non construites dont on n’avait plus besoin. Ce faisant, la Cour a rejeté l’idée selon laquelle elle adopte la « règle d’investissement prudent », selon laquelle les services publics seraient en droit d’obtenir un taux de rendement pour tout investissement prudent, à titre de mesure de protection constitutionnelle pour les services publics11.

b. Les décisions canadiennes : La Cour suprême

Lorsqu’on se tourne vers la jurisprudence canadienne, celle-ci n’est pas différente. La décision fondamentale concernant les taux pour les services publics est Northwestern Utilities Ltd c Ville d’Edmonton12. Cette décision est souvent citée pour le fameux adage du juge Lamont à savoir que la fonction de l’organisme de règlementation était « des tarifs justes et raisonnables; des tarifs qui[…] seraient équitables pour le consommateur d’un côté, et qui, d’un autre côté, assureraient aux entreprises un rendement raisonnable pour le capital investi13 ». Ce que l’on oublie souvent en citant cette décision, ce sont les faits réels de l’affaire. La Commission des services publics de l’Alberta avait déjà établi les tarifs gaziers de Northwestern Utilities, qui comprenaient un rendement de 10 % de l’investissement. Quelques années plus tard, Northwestern Utilities a demandé une continuation des tarifs, mais la Commission a réduit le taux de rendement à 9 %, sans audience et simplement en se fondant sur l’« évolution des conditions du marché monétaire ».14 La Cour suprême du Canada a confirmé sa décision, déclarant que l’établissement d’un taux de rendement équitable se voulait essentiellement une question d’opinion qui pouvait être laissée à l’expertise de la Commission. Bien que l’affaire ne traitait pas de la question de prudence, elle faisait état du niveau élevé de déférence accordé à l’expertise de la Commission pour déterminer le taux de rendement même en l’absence d’une audience formelle.

De nombreuses années plus tard, la Cour suprême a fait valoir que les commissions de règlementation, à moins qu’un texte législatif ne soit explicite, se devaient d’offrir un rendement équitable aux services publics pour leurs investissements prudents15. Néanmoins, la Cour a maintenu que ces commissions pouvaient tenir compte de toute question qu’elle juge appropriée étant donné qu’il n’y a pas de définition unique d’un rendement équitable. La Cour ne s’est pas penchée sur la question à savoir s’il y avait une présomption de prudence pour les coûts engagés historiquement.

Même lorsque la Cour suprême a infirmé la détermination d’un organisme de règlementation quant à la façon d’attribuer les recettes de la vente des actifs d’un service public16, elle a tout de même souligné que « l’organisme de règlementation limite le pouvoir discrétionnaire de la direction du service public sur des décisions clés, y compris les prix, les offres de services et la prudence des décisions concernant l’investissement dans des immobilisations17 ».

Avant son accession à la Cour suprême, le juge Rothstein a abordé la question du taux adéquat de rendement dans un jugement de la Cour d’appel fédérale18. Bien que le jugement ait reconnu à maintes reprises que le taux de rendement accordé serait fondé sur les coûts engagés de façon prudente, il acceptait qu’« il y a de nombreuses questions relatives aux coûts qui pourraient faire l’objet de contestations [comme]… si les coûts ont été ou sont engagés prudemment19 ». Il ne devrait donc pas être surprenant que le juge Rothstein, après son accession à la Cour suprême, ait rejeté l’idée qu’il y ait une présomption de prudence dans les décisions jumelées d’ATCO et d’OPG20.

c. Les décisions canadiennes : Les tribunaux d’appel

Le manque de présomption de prudence dans la jurisprudence de la Cour suprême, tant des États-Unis que du Canada, soulève des questions quant à savoir d’où provient cette perception répandue. La réponse est que les organismes de règlementation et certains tribunaux d’appel ont formulé des critères qui suggèrent une présomption de prudence. Toutefois, ceux-ci ont également laissé entendre qu’une telle présomption pouvait être réfutée. Le règlement de presque tous les cas semble démontrer que la présomption ne constitue pas un obstacle si difficile à surmonter, étant donné que, pratiquement parlant, toute audience de tarification comportera toujours la présentation de preuves par le service public qui seront rigoureusement examinées par le personnel des commissions et/ou les intervenants. Ainsi, même si la présomption existait en faveur des services publics, il serait absurde si ces derniers, lorsqu’ils présentent leurs arguments devant un organisme de règlementation, ne présentaient que des dépenses sans aucune justification que ce soit à savoir que ces dépenses sont réputées être prudentes. Le personnel de l’organisme et les intervenants poseraient tellement de questions dans le cadre d’interrogatoires par écrit ou au cours d’audiences qu’en fin de compte, le service public devrait être en mesure, ou non, de justifier les dépenses. D’où l’idée que la présomption de prudence n’a jamais été d’aucune utilité pratique pour les services publics.

Par exemple, la Commission de l’énergie de l’Ontario (CEO) avait élaboré un critère comme outil stratégique que la Cour d’appel de l’Ontario avait entériné comme doctrine dans Enbridge Gas Distribution Inc c Commission de l’énergie de l’Ontario (2006)21. Dans cette affaire, Enbridge en avait appelé d’une décision de la Commission de l’énergie de l’Ontario, dans laquelle elle avait conclu que les coûts d’Enbridge n’avaient pas été engagés de façon prudente et, par conséquent, ne pouvaient pas être refilés aux consommateurs. La Cour divisionnaire de l’Ontario avait accueilli l’appel d’Enbridge, indiquant que la Commission avait utilisé des renseignements obtenus a posteriori dans son évaluation de la prudence, mais la Cour d’appel était revenue sur sa décision. La Cour avait énuméré certains des principes du critère d’investissement prudent de la CEO comme suit :

  • Les décisions prises par la direction du service public devraient habituellement être réputées être prudentes à moins qu’elles ne soient contestées pour des motifs raisonnables.
  • Pour être prudente, une décision doit avoir été raisonnable en fonction des circonstances qui étaient connues ou qui auraient dû être connues par le service public au moment où elle a été prise.
  • Aucun renseignement a posteriori ne doit être utilisé dans la détermination de la prudence, bien que la prise en considération du résultat d’une décision puisse être utilisée de façon légitime pour répondre à la présomption de prudence.
  • La prudence doit être déterminée dans le cadre d’un examen factuel rétrospectif, c’est-à-dire que la preuve doit tenir compte du moment où la décision a été prise et doit être fondée sur des faits concernant les éléments qui pourraient avoir ou qui ont été pris en considération dans la décision à ce moment22 [Traduction].

Après avoir récité le critère avec approbation, la Cour d’appel a néanmoins confirmé la détermination du taux de la CEO pour Enbridge. Dans deux cas subséquents, la Cour d’appel a continué de confirmer le pouvoir de la CEO d’établir des taux en utilisant n’importe quelle méthode qu’elle jugeait bonne pourvu que la décision de la CEO ait été raisonnable ou non erronée sur le plan juridique. Dans Toronto Hydro-Electric System Ltd c Ontario (Commission de l’énergie)23, la CEO a imposé au service public la condition qu’elle obtienne l’approbation d’une majorité de ses directeurs indépendants avant de verser des dividendes. La Cour a confirmé l’imposition par la CEO de cette condition, soulignant que la condition de la Commission relevait de sa compétence en ce qui concerne l’établissement de taux. Bien qu’il ne s’agisse pas exactement d’une question de prudence, la CEO était préoccupée par le manque de dépenses possibles sur le capital en raison de versements excessifs de dividendes. La Cour a mentionné ce qui suit :

« Les principes qui régissent un service public règlementé qui exerce un monopole diffèrent de ceux qui s’appliquent aux entreprises du secteur privé, qui évoluent dans un marché concurrentiel. Les directeurs et les représentants d’entreprises non règlementées ont une obligation fiduciaire d’agir dans les meilleurs intérêts de l’entreprise (ce qui est souvent interprété comme les meilleurs intérêts des actionnaires), alors qu’un service public règlementé doit agir d’une manière qui tient compte tant des intérêts des actionnaires du service public que ceux des contribuables. Si un service public n’agit pas de cette façon, il incombe à la CEO d’intervenir afin d’atteindre ce juste équilibre et de protéger les intérêts des contribuables24 [Traduction]. »

Dans Great Lakes Power Ltd c Ontario (Commission de l’énergie)25 , la Cour semblait presque s’écarter de la présomption de prudence, lorsque la Commission a rejeté la demande de la compagnie d’électricité de recouvrer les coûts dans ses tarifs sans d’abord se soumettre à un examen du caractère raisonnable. Le service public a interjeté appel, lequel a été rejeté par la Cour divisionnaire et la Cour d’appel. La Cour a déclaré qu’« un service public doit faire l’objet d’un examen de la prudence avant de refiler ses coûts aux consommateurs », sans quoi il « n’a pas droit de bénéficier d’un taux de rendement approuvé26 ».

Par conséquent, la règle de présomption de prudence semble n’avoir été mise en application qu’une seule fois par la suite par la CEO, dans la décision même qui a mené au jugement de la Cour suprême dans OPG, nommément Power Workers’ Union, Canadian Union of Public Employees, Local 1000 c Commission de l’énergie de l’Ontario27. Ainsi, bien que le critère ait été invoqué à maintes reprises par la Cour d’appel de l’Ontario, la seule fois que celle-ci a décidé de donner du mordant à ce critère, la Cour suprême a infirmé la décision.

À l’extérieur de l’Ontario, il se peut que d’autres cours d’appel aient fait mention de la présomption de prudence de temps à autre, mais les appels ont toujours abouti en faveur de l’organisme de règlementation. Prenons par exemple un différend antérieur entre ATCO Electric et l’Energy and Utilities Board (EUB) de l’Alberta28. ATCO Electric avait demandé à l’EUB d’approuver des taux pour les périodes de 1999-2000 et 2001-2002 au moyen de règlements négociés. L’EUB avait approuvé les demandes, mais rejeté et réduit les coûts de détention pour des comptes de report particuliers dans trois décisions29. ATCO a interjeté appel, soutenant que l’EUB aurait dû accorder au service public une compensation juste et raisonnable pour tous ses coûts, étant donné que l’EUB aurait pu modifier ses approbations antérieures des règlements négociés afin de permettre le recouvrement de certains coûts de détention. La Cour a rejeté l’appel et confirmé la décision de l’EUB, faisant valoir que l’obligation de l’EUB d’agir dans l’intérêt du public ne comprenait pas l’obligation de « protéger un service public contre lui-même30 ». L’EUB avait une discrétion dans l’établissement de tarifs justes et raisonnables, ce qui ne signifiait pas nécessairement d’établir les coûts les moins élevés possible, mais qui devrait offrir au service public « une occasion raisonnable de recouvrer ses coûts, pourvu qu’ils aient été prudents31 ». La Cour a cité avec approbation l’observation de l’EUB à savoir que « bien que coûts prudents ne veuille pas dire les coûts les moins élevés possible [,] les coûts de financement qui sont inutiles et gonflés ou qui pourraient résulter de profits inattendus pour le service public ne peuvent pas être considérés comme prudents32 ». La Cour a même déclaré ce qui suit :

« Le service public n’est pas en droit d’obtenir un taux de rendement plus élevé pour des dépenses prudentes simplement en raison du risque que la commission refuse le recouvrement de ceux qui sont imprudents. Le fait d’accepter cet argument récompenserait l’imprudence. Il ne peut pas en être ainsi. ATCO – et non ses clients – assume les risques associés à toute dépense inappropriée de sa part33 [Traduction]. »

Cela suggère que la Cour d’appel n’a pas considéré les coûts engagés historiquement comme étant présumés prudents, mais a plutôt imposé au service public le fardeau de faire la preuve de leur prudence.

Un an plus tard, la Cour d’appel de l’Alberta a effectivement adopté un critère d’investissement prudent, présumant la prudence des coûts engagés, mais a quand même confirmé un jugement de l’EUB contre ATCO Gas. En 2001, ATCO Gas a demandé un ajustement du taux de recouvrement de ses coûts pour le gaz afin de minimiser le solde de son compte de gaz différé34. L’EUB a fait valoir qu’ATCO avait agi de façon imprudente dans sa pratique visant à retirer du gaz de l’une de ses installations, menant à des économies de 4 millions de dollars qui auraient pu être réalisées. L’EUB a ordonné à ATCO de rembourser le montant aux consommateurs en utilisant ses tarifs. ATCO en a appelé de cette décision au motif que l’EUB n’avait pas utilisé le critère approprié pour la prudence, mais la Cour d’appel a rejeté l’appel35. La Cour a cité avec approbation le critère de prudence de l’EUB, à savoir que :

« Un service public sera jugé prudent s’il fait preuve de bon jugement et prend des décisions qui sont raisonnables au moment où elles sont prises, selon des renseignements que le propriétaire du service public connaissait ou aurait dû connaître au moment où la décision a été prise. Pour prendre des décisions, un service public doit tenir compte des meilleurs intérêts de ses clients, tout en ayant droit à un rendement équitable36 [Traduction]. »

La Cour a indiqué qu’une présomption de prudence imposerait le fardeau à la partie qui s’interroge sur la prudence de la décision du service public, mais une fois rejetée, la prudence de la décision serait examinée par un organisme de règlementation au moyen d’un critère de raisonnabilité37. La Cour était davantage préoccupée par la reconnaissance par l’EUB de la présomption de prudence, plutôt que par la question de savoir comment l’EUB a évalué la prudence des décisions d’ATCO38. L’évaluation réelle de la prudence, selon la Cour, était une question de fait, ce qui ne pouvait pas être présenté adéquatement à la Cour39.

Bien que d’autres juridictions ne se soient pas prononcées directement dans leur jurisprudence sur la présomption de prudence, nous notons que les cours d’appel provinciales s’en sont remises aux organismes de règlementation en ce qui concerne la détermination des tarifs40. Cela suggère que, comme l’a observé George Vegh il y a nombre d’années, il n’y a pas de doctrine du droit canadien sur les services publics41. Mais cela ne veut pas dire que la règlementation des services publics est irrespectueuse de la loi et arbitraire. La pratique de la règlementation des services publics, et plus particulièrement lorsqu’il s’agit de déterminer quels coûts peuvent être recouvrés dans les tarifs, est plutôt très nuancée et élaborée au sein des organes de règlementation plutôt que des tribunaux.

III. La prudence aux organismes

Le retrait par la Cour suprême d’une présomption de prudence formelle dans la doctrine n’a pas changé les pratiques antérieures concernant l’évaluation de la prudence aux divers organismes. Prenons, par exemple, les demandes des Direct Energy Regulated Services (DERS) à l’Alberta Utilities Commission (AUC) pour recouvrer auprès de leurs clients les coûts qu’ils ont engagés pour régler un recours collectif contre eux42. Le recours collectif a été déposé contre les DERS en raison de frais de pénalité de retard qu’ils avaient facturés aux consommateurs règlementés dans la passé. L’AUC aurait pu facilement être encouragée par les deux récentes décisions de la Cour suprême et décider que de tels coûts avaient été engagés de façon imprudente, mais elle a plutôt procédé à une analyse détaillée de la question à savoir pourquoi les DERS avaient réglé le recours collectif et quels effets positifs le règlement pouvait-il avoir sur leurs clients. L’AUC a permis aux DERS de recouvrer 75 % des coûts liés à sa défense contre le recours collectif malgré une forte opposition de la part d’un groupe de consommateurs43. Un membre du comité de l’AUC qui a approuvé le recouvrement des coûts a même cru bon d’exprimer lui-même son inconfort quant au recouvrement approuvé44. Ces questions difficiles ont finalement été réglées dans leur ensemble en faveur des DERS, démontrant ainsi que le retrait de la présomption pouvait encore mener à des résultats satisfaisants qui ne sont pas dichotomiques45.

L’AUC a aussi récemment publié un bulletin demandant des commentaires à savoir si elle devait exempter sous condition les propriétaires de services publics d’avoir à obtenir l’approbation de l’AUC avant d’émettre des titres de capitaux propres et de créances à long terme46. Peut-être que l’AUC, en raison des deux récentes décisions de la Cour suprême, ne croyait pas être restreinte par des émissions imprudentes de titres de créances ou de capitaux propres et note dans le bulletin que « [r]ien dans cette règle [proposée] n’exempte le propriétaire d’un service public de la nécessité de démontrer la prudence d’un coût engagé de créances ou de capitaux propres dans les procédures de tarification applicables de la Commission47 ». Une présomption de prudence aurait pu rendre l’AUC réticente à retirer ses pouvoirs de supervision sur l’émission de créances et de capitaux propres. Par conséquent, si la règle proposée est adoptée, il en résultera un fardeau règlementaire moins lourd pour les services publics.

IV. Conclusion

La présomption de prudence était peut-être effectivement une doctrine de droit, bien que pour un court laps de temps, mais elle n’a jamais vraiment eu de mordant. Avant les récents cas de la Cour suprême sur la question de la prudence, les tribunaux à tout le mieux souscrivaient du bout des lèvres à la doctrine dont font état tous les cas ayant servi aux divers organismes et commissions lorsque la prudence était en question. Toutefois, la mort de la doctrine signifie que les organismes de règlementation, les services publics et les consommateurs peuvent travailler à des solutions sensibles pour les organismes de règlementation, ce qui bénéficiera tant aux consommateurs qu’aux services publics.

 

* Venessa Korzan est étudiante en droit à DLA Piper (Canada) LLP. Moin Yahya est professeur de droit à l’Université de l’Alberta. Il est également membre suppléant de l’Alberta Utilities Commission (AUC).Le présent commentaire est de nature théorique et n’est pas une remise en question du bien-fondé de toute procédure antérieure ou pendante devant l’AUC. De plus, le professeur Yahya n’a joué aucun rôle dans les décisions de l’AUC mentionnées dans le présent article. Nous aimerions remercier les participants du 10e forum annuel sur le droit en matière d’énergie (2016), George Vegh, Glenn Zacher, Gordon Kaiser et Willie Grieve pour leurs avis éclairés. Toute erreur relève des auteurs.

  1. Voir, par exemple, Power Workers’ Union (Canadian Union of Public Employees, Local 1000) c Ontario (Commission de l’énergie), 2013 ONCA 359, 116 OR (3d) 793 ; Section III de Moin A. Yahya, « Régimes de retraite d’ATCO, Ontario Hydro, prudence et caractère raisonnable : un commentaire sur les arrêts commission de l’énergie de l’Ontario c Ontario Power Generation inc. et ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission) » (2015) 3:4 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 49, en ligne : ERQ < https://www.energyregulationquarterly.ca/case-comments/atco-pensions-ontario-hydro-prudency-and-reasonableness-a-case-comment-on-ontario-energy-board-v-ontario-power-generagtion-inc-atco-gas-and-pipeines-ltd-v-alberta-utilities-commission >.
  2. ATCO Gas and Pipelines Ltd c Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 RCS 219 [ATCO].
  3. Ontario (Commission de l’énergie) c Ontario Power Generation Inc, 2015 CSC 44, [2015] 3 RCS 147 [OPG].
  4. Voir la discussion dans le texte de Yahya, supra note 1.
  5. Southwestern Bell Telephone Co v Public Service Commission of Missouri, 262 US 276 (1923).
  6. Ibid à 290. Le critère à l’époque était fondé sur la décision Smyth v Ames, 169 US 466 (1898).
  7. FPC v Hope Natural Gas Co, 320 US 591 (1944).
  8. Ibid à 602.
  9. Ibid à 603.
  10. Duquesne Light Co v Barasch, 488 US 299 (1989).
  11. Ibid à 315.
  12. Northwestern Utilities Ltd c Ville d’Edmonton, [1929] RCS 186.
  13. Ibid à 192-193. Le juge Lamont a par la suite décrit le critère pour un rendement raisonnable comme suit :

    Par un rendement équitable on entend que la société pourra obtenir le meilleur rendement possible du capital investi dans son entreprise (qui sera net pour la société) qu’elle recevrait si elle investissait le même montant dans d’autres titres offrant le même niveau d’attrait, de stabilité et de certitude que l’entreprise de la société [Traduction].

  14. Ibid à 186-187.
  15. British Columbia Electric Railway Co v Public Utilities Commission of British Columbia, [1960] RCS 837.
  16. ATCO Gas and Pipelines Ltd c Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4 [Stores Block].
  17. Ibid au para 4.
  18. TransCanada Pipelines Ltd c Office national de l’énergie, 2004 CAF 149.
  19. Ibid au para 34.
  20. Voir discussion supra note 1.
  21. Enbridge Gas Distribution Inc c Commission de l’énergie de l’Ontario, 210 CAO 4.
  22. Ibid au para 10.
  23. Toronto Hydro-Electric System Ltd c Ontario (Commission de l’énergie), 2010 ONCA 284, 99 OR (3d) 481.
  24. Ibid au para 50.
  25. Great Lakes Power Ltd c Ontario (Commission de l’énergie), 2010 ONCA 399.
  26. Ibid au para 22.
  27. Power Workers’ Union, supra note 1 infirmée par OPG, supra note 3.
  28. ATCO Electric Ltd v Alberta (Energy and Utilities Board), 2004 ABCA 215.
  29. Re Year 2000 Outstanding Matters Deferral Accounts (Other than Pool Price) Part B (27 novembre 2001), 2001-83; Re Genco & Disco 2000 Pool Price Deferral Accounts Proceeding (12 décembre 2001), 2001-92; Re 2000 Pool Price Deferral Accounts Proceeding (22 décembre 2001) 2001-93.
  30. Supra note 28 au para 9.
  31. Ibid au para 131.
  32. Ibid au para 179 (citations omises).
  33. Ibid au para 186.
  34. Re Methodology for Managing Gas Supply Portfolios and Determining Gas Cost Recovery Rates Proceeding and Gas Rate Unbundling Proceeding, 2001-110, en ligne: AUC <http://www.auc.ab.ca/applications/decisions/Decisions/2001/2001-110.pdf>.
  35. ATCO Gas and Pipelines Ltd v Alberta (Energy and Utilities Board), 2005 ABCA 122.
  36. Ibid au para 22.
  37. Ibid au para 66.
  38. Ibid au para 74.
  39. Ibid.
  40. Voir, par exemple, Consumers’ Assn of Canada (Manitoba) Inc et al v Manitoba Hydro, Electric Board, 2005 MBCA 55; BC Hydro and Power Authority v Terasen Gas (Vancouver Island) Inc, 2004 BCCA 346; Re Section 101 of the Public Utilities Act (Newfoundland), [1998] 164 Nfld & PEIR 60; Newfoundland Light & Power Co v Board of Commissioners of Public Utilities, [1987] 37 DLR (4th) 35, 4 ACWS (3d) 1 (Nfld CA); Re City of Dartmouth, (1977) 17 NSR (2d) 425.
  41. George Vegh, « Is there a Doctrine of Canadian Public Utility Law? » (2007) 86:2 Revue du Barreau canadien 319.
  42. Direct Energy Regulated Services: 2015 Late Payment Penalty Charge Settlement Agreement (10 août 2016), 20732-D01-2016, en ligne: AUC <http://www.auc.ab.ca/regulatory_documents/ProceedingDocuments/2016/20732-D01-2016.pdf>.
  43. Ibid au para 4.
  44. Ibid aux para 252-257.
  45. Voir aussi AltaLink Management Ltd: 2012 and 2013 Deferral Accounts Reconciliation Application (6 juin 2016) 3585-D03-2016, en ligne : AUC <http://www.auc.ab.ca/regulatory_documents/ProceedingDocuments/2016/3585-D03-2016.pdf>.
  46. Alberta Utilities Commission, AUC Bulletin 2016-13 (27 mai 2016), en ligne : AUC <http://www.auc.ab.ca/news-room/bulletins/Bulletins/2016/Bulletin%202016-13.pdf>.
  47. Ibid à la p 3.

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