Une question de confiance : le rôle des communautés dans le processus de décision en matière d’énergie

Introduction

Les projets de développement énergétique font parfois face à une puissante opposition à l’échelle locale, dans les collectivités canadiennes. Les entreprises du secteur de l’énergie se sont retrouvées sous la loupe et les organismes de règlementation ont été contraints de revoir leur rôle en évolution dans ce nouveau contexte. De nouvelles études, réalisées à l’Université d’Ottawa et par la Canada West Foundation, montrent que la nature de cette opposition, et des préoccupations sous-jacentes, ne sont pas celles auxquelles pensaient les dirigeants et les décideurs politiques. Surtout, l’opposition locale n’est pas limitée aux oléoducs et aux sables bitumineux, pas plus qu’aux changements climatiques.

Le présent article fait fond sur un deuxième et dernier rapport d’un projet visant à mieux cerner ce qui suscite la confiance des collectivités à l’égard des processus décisionnels relatifs à des projets énergétiques. Le projet visait à mieux comprendre la relation entre les collectivités locales et les pouvoirs publics dans le secteur du développement énergétique, à cerner les raisons à l’origine des pénuries de confiance et à définir des solutions pour rétablir cette confiance.

Deux questions de recherche étroitement liées l’une à l’autre ont été examinées dans le cadre de cette étude :

  • Quels sont les facteurs qui favorisent une plus grande satisfaction dans les collectivités locales à l’égard du processus de choix d’emplacement de l’infrastructure énergétique?
  • Quel est le degré de confiance de la collectivité locale envers les mesures prises par les pouvoirs publics pour ce qui est de la nouvelle infrastructure énergétique?

Le projet découle d’une observation primaire : que le débat national croissant au sujet de la confiance à l’égard des processus décisionnels dans le cas des projets énergétiques laisse trop peu de place à l’expression des collectivités locales elles-mêmes. En d’autres termes, même si bon nombre de collectivités locales soulèvent des préoccupations sur certains sujets, celles-ci ne se traduisent pas nécessairement en observations générales ou en conclusions qui pourraient être appliquées à d’autres projets ou collectivités. On se perd aussi beaucoup en conjectures et dans les discussions en tentant de déterminer ce que pensent les collectivités, d’expliquer pourquoi elles répondent de certaines façons aux processus décisionnels relatifs à des projets énergétiques et de définir le rôle des autorités de règlementation, des promoteurs, des décideurs, des dirigeants locaux et des ONG aux échelles locale ou régionale et nationale dans ce processus. Les connaissances empiriques sont relativement limitées quant à savoir ce qui se passe sur le terrain dans les collectivités. À la lumière de tous ces éléments, nous avons décidé d’entreprendre une série d’études de cas à l’échelle communautaire.

Approche et méthodologie

La recherche préliminaire entreprise avant la recension d’études de cas détaillées a été décrite dans un rapport provisoire intitulé Fair Enough: Assessing Community Confidence in Energy Authorities1. Celui-ci a été établi à partir d’une série d’entrevues réalisées auprès de dirigeants du secteur de l’énergie de partout au pays et d’une recension de la littérature didactique pour établir l’assise analytique des études de cas. Les études de cas ont été évaluées par une combinaison d’entrevues semi-dirigées (86 au total dans six collectivités) et d’enquêtes téléphoniques qui ont permis de joindre 1 795 résidents du 26 juillet au 7 septembre 2016 dans quatre des collectivités ciblées2. Les détails sur la conception et les méthodes de recherche peuvent être consultés dans le rapport final (A Matter of Trust: The Role of Communities in Energy Decision-Making)3.

L’ensemble de la littérature et la vaste majorité des entrevues effectuées à des niveaux décisionnels supérieurs abordent la notion de confiance (Nourallah, 2016)4. Quoi qu’il en soit, le manque de confiance à lui seul en dit peu quant à ce qu’il convient de faire. Il est possible de cerner des observations plus utiles en examinant notre compréhension à travers les lentilles de précision de « l’équité » et en axant notre approche sur ce thème balisé par les quatre dimensions décrites ci-dessous. L’analyse des six études de cas communautaires dont il est question dans le présent article est structurée de cette façon.

Voir le tableau ci-dessous.

Dimensions favorisant la confiance Principales caractéristiques
Contexte La nature de la collectivité et du projet, les influences externes importantes, y compris les expériences ailleurs et la planification et les cadres règlementaires.
Valeurs et intérêts Ils sont multiples et souvent contradictoires. Perceptions à l’égard des coûts, des avantages et des risques. Aspects négociables et non négociables.
Information et capacité Utilisation par le public de l’information sous-jacente au processus décisionnel et confiance envers celui-ci. Capacité d’obtenir et d’utiliser l’information appropriée.
Mobilisation et participation au processus décisionnel L’occasion pour le public de participer de façon significative aux décisions et de les influencer.

 

Les constatations – axées sur les concepts mentionnés ci-dessus et brièvement décrites ci-dessous – racontent l’histoire des résidents principalement dans les petites collectivités ou les collectivités rurales, et leur expérience à l’égard des processus règlementaires.

Notre recherche montre clairement qu’au Canada, l’opposition aux projets énergétiques dépasse les projets de sables bitumineux et de pipelines connexes, et touche différents types de projets énergétiques. Bon nombre de nos études de cas s’intéressent à des projets d’électricité – une ligne électrique, un barrage hydroélectrique, des centrales alimentées au gaz et un parc d’éoliennes. Certains ont été approuvés et d’autres non. Certains ont été construits avec l’appui de la collectivité et d’autres sous les protestations des collectivités.

En outre, bien que bon nombre de décideurs continuent de tenir pour acquis que les préoccupations relatives aux changements climatiques soulèvent l’opposition à l’échelle locale, nos travaux montrent que ce n’est pas le cas. D’autres facteurs semblent avoir été beaucoup plus importants, notamment la sécurité, la nécessité, la distribution des bénéfices, les répercussions sur l’environnement local (p. ex. contamination de l’eau), les pratiques restrictives en matière de consultation/de communication et l’absence de participation locale au processus décisionnel.

De l’exploration des gaz de schiste sur la côte Est aux parcs d’éoliennes dans le centre du Canada jusqu’au terminal pipelinier proposé sur la côte Ouest, les autorités et les collectivités locales demandent à jouer un rôle accru afin d’avoir leur mot à dire lorsque les décisions économiques et environnementales prises par des tiers ont une incidence sur leur avenir. Une chose semble très claire – le cercle élitiste centralisé qui prend des décisions avec peu de mobilisation à l’échelle locale devient rapidement chose du passé.

Il est difficile de résumer en quelques mots les observations dégagées des six études de cas, et une attention particulière au synopsis des études de cas sera certainement valable, mais par souci de concision, nous pouvons formuler les observations suivantes :

  • Le contexte est important. Dans l’ensemble des études de cas, différents facteurs contextuels ont influé sur le degré de confiance de la collectivité à l’égard du processus et des résultats. Les principaux facteurs comprennent les expériences passées dans le cadre de projets antérieurs, la culture rurale et locale qui créent un contexte dans lequel le projet énergétique et les processus règlementaires deviennent intrinsèquement intrusifs. Nous devons favoriser la flexibilité et approfondir notre compréhension des processus pour réagir à diverses réalités.
  • Les intérêts, bien qu’ils soient importants, jouent un rôle secondaire par rapport aux valeurs. Les facteurs négociables, comme les emplois, l’investissement communautaire et les bénéfices tirés des ressources importent certes, mais dans la plupart des cas, ils étaient secondaires par comparaison aux valeurs. Il y a des cas où les valeurs profondément enracinées – comme l’environnement essentiellement rural, la pureté de l’air ou simplement l’importance d’être traité avec ouverture et équité – dominent les perceptions communautaires. Il est clair que les arguments uniquement axés sur les aspects économiques ne suffiront pas à ébranler les valeurs auxquelles souscrivent les intéressés.
  • L’information importe, mais l’éducation énergétique n’est pas le problème. D’une façon générale, les collectivités dont il est question dans les études de cas s’informent activement et abordent les enjeux avec une certaine part d’objectivité; toutefois, le facteur temps, les voies de communication, les sources, la nature et la qualité de l’information exercent une influence sur la confiance de la collectivité à l’égard du processus décisionnel. Bien qu’il n’existe aucune stratégie d’information idéale, « l’information sur l’information » – qui la détient, où elle se trouve, comment on peut y accéder – est un facteur qui importe dès le commencement.
  • La mobilisation doit être réelle et intervenir tôt durant le processus. Dans les six cas étudiés, la mobilisation a pris différentes formes, mais elle a été négligée à l’égard de plusieurs aspects. La mobilisation communautaire doit être plus tangible que la simple communication d’avis et la tenue de quelques assemblées locales. Elle doit prendre la forme de véritables consultations offrant une réelle possibilité de modifier les plans. Pour aller plus loin, elle peut comprendre une véritable collaboration avec la collectivité qui acquiert un rôle important dans le processus et même un intérêt direct à l’égard du projet.

Voir l’étude de cas à la page suivante.

Études de cas

Projet et collectivité Approuvé ou non, construit ou non (si construit, quand) Principale compétence responsable Linéaire/
régional/
local
Énergie/
carburant, fossile/
renouvelable
Oléoduc du Northern Gateway
– Nations Kitimat et Haisla (Colombie-Britannique)
Approuvé, mais pas (encore) construit Gouvernement fédéral Linéaire Transport de carburant; fossile
Western Alberta Transmission Line (WATL)
– Eckville-Rimbey (Alberta)
Approuvé, construit et en service, décembre 2015 Gouvernement provincial d’Alberta Linéaire Ligne de transmission; fossile et renouvelable
Centrale hydroélectrique de Wuskwatim
– Nation crie de Nisichawayasihk (NCN) (Manitoba)
Approuvé, construit et en service, juin 2012 Gouvernement provincial du Manitoba Local Électricité; renouvelable
Centrales au gaz naturel en milieu urbain
–Comté d’Oakville et de King (Ontario)
Oakville – non approuvé.
King – approuvé et en service, mai 2012
Gouvernement provincial de l’Ontario Local Électricité; fossile
Parc d’éoliennes
– St-Valentin (Québec)
Non approuvé Gouvernement provincial du Québec Local/régional Électricité; renouvelable
Exploration de gaz de schiste
– Comté de Kent et nation Elsipogtog (Nouveau-Brunswick)
Non approuvé Gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick Régional Carburant; fossile

 

Études de cas communautaires : Guide de référence rapide

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Oléoduc du Northern Gateway – Nations Kitimat et Haisla (Colombie-Britannique)

L’oléoduc du Northern Gateway a été nommé par son promoteur Enbridge, dans une proposition visant à construire un oléoduc reliant Bruderheim (Alberta) et Kitimat (C.-B.), pour transporter 525 000 barils par jour de bitume dilué. S’il était construit, l’oléoduc franchirait 1 176 kilomètres, principalement du nord de la C.-B., et toucherait les territoires de plus de 50 groupes autochtones dans le nord-ouest de la C.-B. Le produit livré serait transbordé sur des navires-citernes aux installations portuaires en eau profonde de Kitimat et les navires-citernes en retour traverseraient le canal Douglas avant d’atteindre les eaux libres.

Dans ce cas, la principale autorité de règlementation était l’Office national de l’énergie, qui a mis sur pied une Commission d’examen conjoint (CEJ) sous l’autorité de la Loi sur l’Office national de l’énergie (LONE)5 et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (LCEE).6

Le projet est devenu l’un des projets énergétiques les plus controversés au Canada au cours des dernières années. Il s’est buté à de l’opposition à différentes étapes, depuis le tout début jusqu’au processus règlementaire (Commission d’examen conjoint) et de la part de différents groupes, y compris de nombreux ONGE (Organisation non gouvernementale de défense de l’environnement), de collectivités autochtones et de résidents des collectivités touchées par le projet. Malgré une approbation conditionnelle de la CEJ, le projet n’est pas allé de l’avant. Ses perspectives à venir sont grandement assombries par le projet d’interdiction de circulation des navires-citernes sur la côte Nord de la C.-B. du gouvernement fédéral, et une décision de la Cour de juin 2016 selon laquelle le gouvernement n’avait pas satisfait à son obligation de consulter les groupes autochtones concernés.

Principales observations :

  • Il s’est dégagé des entrevues et sondages que la collectivité était divisée par rapport au projet. Un résident de Kitimat sur deux ayant participé au sondage appuie complètement ou partiellement le projet de Northern Gateway, alors que deux sur cinq s’y opposent complètement ou partiellement.
  • Les préoccupations exprimées dans les collectivités touchées couvertes par cette étude de cas (nations Kitimat et Haisla) étaient axées sur la sécurité et le risque de déversement. Trois résidents sur quatre sont d’accord ou dans une certaine mesure d’accord pour affirmer que l’oléoduc augmente le risque d’accidents qui pourraient entraîner des répercussions négatives sur l’environnement dans leur collectivité et au-delà de ses limites. D’autres collectivités le long du tracé de l’oléoduc se préoccupaient aussi des déversements, de même que de la perturbation de l’air et de la nature relativement sauvage vierge.
  • Dans l’ensemble, les résidents de Kitimat présentaient un degré de confiance relativement faible à l’égard des pouvoirs publics; en effet, 54 % des résidents interrogés n’avaient pas confiance aux organismes de règlementation pour prendre des décisions relatives à des projets énergétiques.
  • À mesure que s’est accrue l’opposition contre le projet de Northern Gateway, il s’est avéré que celle-ci visait plus que simplement le projet. Pour les groupes à l’extérieur des collectivités directement touchées, le projet est devenu un véhicule pour soulever des enjeux plus généraux, comme la corrélation entre le transport de combustibles fossiles et les changements climatiques.
  • À Kitimat, la possibilité d’une raffinerie a modifié les discussions. Bon nombre de résidents de Kitimat estiment que lorsque l’on exporte des ressources du Canada, il est important d’en retirer le plus possible de bénéfices et d’emplois. Les réflexions qui circulent sur la côte Ouest peuvent se résumer ainsi « le bitume est mauvais, mais le produit raffiné est bon ».
  • Aux yeux de la collectivité, le promoteur ainsi que l’organisme de règlementation ont échoué sur le plan de la mobilisation. Parmi les facteurs mis en relief, notons la méthode, le moment (pas suffisamment tôt) et l’absence d’une mobilisation tangible de la collectivité.
  • L’une des plus importantes lacunes de ce projet, cernée par les personnes en sa faveur et d’autres participants interrogés, est le manque de sensibilité au contexte communautaire et de consultation de la localité sur le projet pour donner des conseils aux promoteurs et aux organismes de règlementation pendant l’exécution du projet.

Projet Western Alberta Transmission Line (WATL) – Eckville et Rimbey (Alberta)

Le projet WATL est une ligne de transport d’électricité à courant continu de 500 kilovolts entre Genesee et Langdon (Alberta). La ligne WATL a été construite et elle appartient à AltaLink Management Ltd., la plus importante entreprise de transport d’électricité règlementée d’Alberta. La demande initiale du projet WATL a été présentée en 2011. Toutefois, le projet WATL avait été précédé par le projet de transport nord-sud d’AltaLink, qui a été amorcé en 2004, et entendu dans le cadre d’audiences de la Commission de l’énergie et des services publics (CESP) en 2007. Ce processus a été grandement controversé et a éventuellement mené à la suspension du projet; cela a eu une influence importante sur les attitudes à l’égard du projet WATL qui a été présenté par la suite.

L’un des aspects inhabituels de ce cas est le scandale de 2007. Il a été révélé que la CESP avait embauché des enquêteurs privés pour écouter clandestinement les propriétaires fonciers qui s’étaient opposés au projet de transport nord-sud. Jumelé à d’autres préoccupations, l’incident a porté atteinte à la crédibilité de la CESP, en tant qu’organisme quasi judiciaire indépendant, ce qui a mené à sa dissolution. Le projet a été marqué par des changements touchant le processus de règlementation, des institutions et des changements législatifs. Le projet WATL a éventuellement été approuvé par l’Alberta Utilities Commission (AUC, l’organisation qui a succédé à la CESP) après une nouvelle ronde d’audiences, mais la controverse par rapport à la proposition antérieure a alourdi le projet sur le plan politique et érodé une certaine part de l’appui politique historique du gouvernement provincial dans les régions rurales.

Principales observations :

La plus grande préoccupation des propriétaires fonciers à l’égard du projet était la décision de ne pas mener une évaluation des besoins publique au moment où le projet a été mis de l’avant. Les propriétaires fonciers estimaient que la ligne de transport était tout simplement inutile et, par conséquent, ne valait pas la perturbation qu’elle entraînerait. Plus de la moitié des résidents ayant participé au sondage ont affirmé qu’une évaluation juste des besoins, démontrant la nécessité de la ligne de transport, pourrait les avoir fait changer d’opinion. Après les besoins, la principale préoccupation concernait l’impact de la ligne de transport sur la valeur des propriétés et les exploitations agricoles (62 % étaient d’accord ou d’accord dans une certaine mesure).

Des entrevues, il s’est dégagé un accord général selon lequel la collectivité et les propriétaires fonciers ne faisaient pas confiance à l’organisme de règlementation pour prendre une décision juste dans l’intérêt des Albertains. On a constaté un sentiment généralisé voulant que le processus soit « miné » dès le départ, et que l’organisme de règlementation n’était pas indépendant de l’industrie et du gouvernement. Soixante pour cent des résidents interrogés n’avaient pas confiance aux pouvoirs publics pour prendre des décisions sur des projets énergétiques et estimaient que l’organisme de règlementation n’était pas indépendant du gouvernement et de l’industrie.

Une fois la confiance perdue, il est difficile de la rétablir. Dans l’esprit des participants interrogés, l’expérience avec la CESP, dans le cadre du processus initial dont l’issue a été fatale, ne pouvait être séparée du projet WATL subséquent. Des sentiments de méfiance et d’irrespect ont transpiré tout au long du processus d’approbation du projet WATL, en dépit des efforts déployés pour corriger certains des problèmes rencontrés au départ. Aujourd’hui, 71 % des répondants appuient ou appuient en quelque sorte le projet de ligne de transport WATL, mais 58 % ne croient pas que les organismes de règlementation peuvent prendre des décisions de façon indépendante.

L’étude de cas a cerné une déconnexion entre les organismes de règlementation et le milieu rural albertain. Surtout, les propriétaires fonciers ont mis en relief le manque de compréhension de la part de l’organisme de règlementation du contexte agricole rural (p. ex. inscrire au calendrier les audiences pendant la période de pointe de la saison des récoltes).

Centrale hydroélectrique de Wuskwatim – Nation crie de Nisichawayasihk (Manitoba)

Le projet de station hydroélectrique de Wuskwatim devait être une centrale et un barrage hydroélectrique sur la rivière Burntwood dans le nord du Manitoba. Au cours des consultations relatives au projet, la conception de celui-ci a été considérablement transformée pour en faire un projet de barrage à faible hauteur (c.-à-d. petite chute) entraînant une inondation négligeable et une capacité de production réduite de 200 MW. Le promoteur du projet était Manitoba Hydro, entièrement détenue par le gouvernement du Manitoba. Dans ce cas, il y avait un processus de règlementation conjoint qui relevait principalement de la Commission de protection de l’environnement du Manitoba (CPEM) en collaboration avec le Ministère des pêches et océans du gouvernement fédéral.

Le projet de Wuskwatim était le premier exemple au Canada d’une entreprise de services publics (Manitoba Hydro) et d’une collectivité autochtone (la Nation crie de Nisichawayasihk [NCN]) qui concluent un partenariat pour développer une centrale hydroélectrique majeure. La collectivité était divisée; même si bon nombre des membres de la collectivité ont affirmé accorder de l’importance aux avantages économiques et aux occasions d’emploi, de nombreux enjeux ont été soulevés lors des audiences. Ceux-ci comprennent les préoccupations environnementales relatives aux répercussions du projet sur l’habitat, la faune et la qualité de l’eau. Un thème récurrent était l’héritage de méfiance fondé sur les répercussions négatives de projets hydroélectriques antérieurs, y compris pour ce qui est des inondations accrues et une croyance voulant que Manitoba Hydro n’ait pas tenu ses promesses. Ce sentiment était non seulement palpable dans la NCN, mais aussi dans d’autres collectivités autochtones à proximité.

Principales observations :

La participation de la Nation crie de Nisichawayasihk aux phases de conception et de planification du projet est à l’origine d’une refonte importante de la conception de celui-ci. Les commentaires suggéraient de combiner l’intégration des connaissances traditionnelles aux connaissances scientifiques lors des études des évaluations environnementales.

La mobilisation n’a pas cessé avec la construction du projet. Par exemple, des cérémonies traditionnelles ont été tenues avant le début des travaux de construction et se sont poursuivies tout au long de la période de construction qui a duré six ans. La NCN a été mobilisée sur une base continue dans le cadre du processus de surveillance et d’évaluation.

Les promoteurs ont dû s’adapter aux changements dans le marché régional de l’énergie qui ont eu une incidence sur les bénéfices prévus et les avantages économiques pour la collectivité. Cela a nécessité des consultations et des changements supplémentaires à l’accord de projet. Les changements incluaient des options d’investissement supplémentaires et des clarifications relatives aux emplois créés dans l’entente initiale.

Centrales au gaz naturel en milieu urbain – comtés d’Oakville et de King (Ontario)

Cette étude de cas a comparé deux centrales électriques au gaz naturel en périphérie de la région métropolitaine de Toronto. Les centrales au gaz proposées dans la ville d’Oakville (ouest de Toronto) et dans le comté de King (nord de Toronto) faisaient partie d’une initiative provinciale visant à mettre à niveau et à augmenter la capacité de production dans la foulée des décisions de fermer les centrales au charbon et de fermer temporairement une série de centrales nucléaires. De 2006 à 2007, l’Ontario Power Authority (OPA) a participé à un processus de planification général intégré de systèmes de production d’électricité pour déterminer s’il était nécessaire de construire de nouvelles installations, y compris celle-ci.

Le processus de planification du système de production d’électricité est à l’origine du choix d’emplacement de plus de 30 projets de production et de transport d’électricité de 2006 jusqu’à 2014. On avait mis en place des processus d’approvisionnement concurrentiels dans le cadre desquels différents promoteurs proposaient diverses solutions (sites, conception d’installation, emplacements) en réponse à une demande de propositions. La province pouvait alors déterminer les propositions retenues au moyen d’un processus d’évaluation coté. Bon nombre des préoccupations (mais pas toutes) qui ont fait l’objet de discussions dans l’étude de cas ont finalement été réglées par une série de recommandations relatives à la planification et au choix des emplacements, par l’OPA et l’Independent Electricity System Operator (IESO), en 2013, et par la fusion des deux entités en 2015.

Oakville

En août 2008, le ministère de l’Énergie a demandé à l’OPA de mener un processus concurrentiel dans le but de se procurer une station de production au gaz à cycle combiné de 850 MW dans la région. Les résidents d’Oakville ont organisé une résistance à la construction de cette usine, surtout après avoir appris que la société TransCanada avait remporté le concours. En mars 2009, Oakville a adopté un règlement administratif intérimaire pour suspendre les travaux, tout en organisant d’importantes activités d’opposition fondées sur des préoccupations environnementales. La Commission des affaires municipales de l’Ontario a confirmé le règlement de la ville d’Oakville en décembre, et plusieurs autres processus règlementaires ont été utilisés par la ville pour ralentir le processus ou y mettre fin. En octobre 2010, le gouvernement de l’Ontario a annulé le projet de construction d’usine et amorcé des activités de négociation et de planification avec TransCanada par rapport un autre lieu, à Napanee, où l’usine deviendra opérationnelle en 2018.

Comté de King

Le besoin de doter le comté de King d’une station hydroélectrique a été cerné en 2005 dans le cadre d’une demande de la Commission de l’énergie de l’Ontario qui demandait à l’OPA de répondre aux besoins croissants dans la région de North York (et plus tard dans le cadre du plan énergétique plus général de l’Ontario). En 2008, l’OPA a lancé un processus d’approvisionnement concurrentiel, lequel a finalement donné lieu à l’adjudication du marché au York Energy Centre dans le comté de King. À l’instar d’Oakville, en janvier 2010, la municipalité a adopté un règlement administratif de contrôle intérimaire. Cependant, en juillet, le gouvernement ontarien a adopté, par décret en conseil, le règlement 305/107, qui exemptait la centrale électrique d’être assujettie à la Loi sur l’aménagement du territoire8 (surtout parce que l’on se préoccupait du fait qu’elle se trouve dans la ceinture verte, une zone environnementale protégée) et aussi de règlements locaux (p. ex. changements dans les règles locales de planification de zonage). Les actions en justice et d’autres procédures administratives ont été déboutées. L’usine a été construite et a commencé à produire de l’électricité en mars 2012.

Principales observations :

  • Ces deux cas étaient caractérisés par des préoccupations importantes relatives à l’interférence politique et au manque d’indépendance de l’organisme de règlementation. Ces actions sont survenues à la fois pendant et après les processus d’approvisionnement. Des préoccupations semblables ont été exprimées au sujet de l’annulation du projet d’usine d’Oakville et des règlements pour soustraire l’usine de King à l’application du règlement sur l’évaluation environnementale ou de lois municipales. Plus de 65 % des résidents ont exprimé des préoccupations relatives à l’indépendance de l’organisme de règlementation du gouvernement ou de l’industrie.
  • Bon nombre d’intervenants se sont plaints qu’il n’existait aucun processus complet pour intégrer les préoccupations relatives à la sécurité, à la nécessité, à l’économie, aux répercussions sur l’environnement et aux qualités communautaires. Bon nombre d’aspects du processus de choix du site minimisaient certains types de répercussions ou ne permettaient pas d’en tenir compte. Ces types de préoccupation étaient à la base de la volonté d’opposition de plus de 60 % des résidents qui se sont opposés au projet. Plus de 70 % des répondants se préoccupaient des répercussions sur l’environnement local.
  • Le processus d’approvisionnement concurrentiel a créé une dynamique selon laquelle les participants éventuels étaient contraints de porter attention aux multiples sites possibles et promoteurs, de sorte qu’il devenait difficile de consacrer les ressources appropriées au processus de choix de l’emplacement. Les résidents se sont aussi plaints qu’on ne les avait pas consultés et que les communications étaient unidirectionnelles. Plus de 50 % des résidents se sont dits préoccupés par l’absence d’occasions d’exercer une influence dans le processus, particulièrement à une étape précoce.
  • Les résidents se sont plaints abondamment de la difficulté d’obtenir des renseignements détaillés de la part des organismes de règlementation et des promoteurs. Quarante pour cent des résidents se sont dits préoccupés par le manque de disponibilité de l’information.

Parc d’éoliennes – St-Valentin (Québec)

Le projet de TransAlta à St-Valentin a été sélectionné par Hydro-Québec en 2008 au terme d’une demande de propositions pour la production d’énergie éolienne au Québec (2005-2007). Le projet devait être situé dans la partie sud de la province, à 50 kilomètres de Montréal, et offrir une capacité de production totale de 51,8 MW à partir de 19 turbines de deux MW et de six turbines de 2,3 MW. Un changement de promoteur pendant le projet – qu’on appelle un « flip » – a terni les relations avec les intervenants (le transfert à un nouveau promoteur est fréquent dans ce secteur. Il s’agit de la vente du projet à un nouveau promoteur après qu’un marché d’approvisionnement eut été obtenu, mais avant la phase de mise en œuvre).

St-Valentin, qui compte 500 habitants, est la plus petite des 14 municipalités qui composent la MRC du Haut-Richelieu (Municipalité régionale de comté). La principale activité économique de la municipalité et de la région avoisinante est l’agriculture. Les grandes superficies de terre agricole plates sont considérées parmi les meilleures au Québec. La municipalité de St-Valentin est située le long de la rivière Richelieu, près de la municipalité de St-Paul-de-l ’île-aux-Noix et du Lac Champlain. Il s’agit d’un point d’accès populaire par bateau aux États-Unis.

Après une série de réunions amorcées en 2006 avec les propriétaires fonciers (ceux sur les terres de qui les turbines devaient être installées), suivie par le soutien officiel de la municipalité (et d’un accord officiel relatif à des redevances) et l’adjudication d’un marché par Hydro-Québec en 2008, l’étude d’impact sur l’environnement a été entreprise en 2010. Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) était responsable des audiences publiques, le ministère de l’Environnement était responsable du processus général et le gouvernement provincial était responsable de rendre la décision finale.

Le peu de consultation et d’occasions d’apporter des modifications au projet est à l’origine de l’opposition de la part des citoyens de St-Valentin et d’une coalition des maires des municipalités environnantes. Le BAPE a recommandé que le projet soit rejeté, ce qu’a fait le gouvernement provincial en juillet 2011, car l’acceptation sociale nécessaire au développement durable était à toutes fins utiles insuffisante. La décision du BAPE combinée avec la faible demande pour l’énergie éolienne, parce que d’autres projets avaient été développés dans le cadre du deuxième appel du gouvernement, est à l’origine de l’annulation de ce projet.

Principales observations :

  • Dès le commencement, le secteur de l’énergie éolienne était influencé par des décisions purement politiques visant le développement économique d’une région en particulier (Gaspésie) et par un membre important du gouvernement du Québec. Ces deux facteurs ont érodé la perception de légitimité à l’égard du secteur.
  • Le projet a été proposé pendant la phase de développement du secteur de l’énergie éolienne. Les procédures et les règles n’étaient pas clairement définies, en particulier aux échelles régionale et locale.
  • Les processus de consultation et de décisions :
    • n’étaient pas adaptés à la portée régionale et à l’incidence du projet, c.-à-d. ils n’étaient pas suffisamment ouverts aux municipalités voisines de St-Valentin. En outre, le processus de consultation et de négociation était trop contraignant pour permettre la modification du projet du point de vue d’un citoyen.
    • Le processus à deux étapes d’adjudication du marché et d’autorisation gouvernementale finale a interagi avec le processus de transfert à un nouveau promoteur, ce qui a sapé la confiance à l’égard du promoteur et des pouvoirs publics.
  • L’opposition était très bien organisée et enrichie d’une expérience et d’une expertise aux échelles régionale, provinciale et internationale. Les audiences publiques du BAPE ont créé des conditions favorables aux détracteurs.
  • L’impact prévu sur le paysage a rendu le projet incompatible avec la nature agricole de la région et du mode de vie rural. Le projet était très près de la rivière Richelieu, dont la biodiversité est riche. La présence de bon nombre d’agriculteurs locaux prospères et de professionnels à la retraite lors des audiences a renforcé cet effet.

Exploration des gaz de Schistes dans le comté de Kent – Nation Elsipogtog (Nouveau-Brunswick)

Dans le cadre des tentatives visant à participer à la croissance continentale de l’industrie des gaz de schiste en 2010, le gouvernement du Nouveau-Brunswick a attribué à SWN Energy Co, établie au Texas, des permis d’explorer 20 % du potentiel de gaz de schiste de la province, y compris de grandes parties du comté de Kent dans le sud-est du Nouveau-Brunswick. Cette région, choisie aux fins de l’étude de cas, arbore un amalgame de villages côtiers et intérieurs, des régions forestières et la réserve communautaire de la nation Elsipogtog qui abrite environ le dixième des 30 800 résidents du comté de Kent. Le contexte du comté de Kent comprend un historique d’expropriations, des faibles taux d’alphabétisme et un amalgame unique de cultures acadiennes, anglophones et de la nation Elsipogtog. Les manifestations persistantes, les blocus des activités d’exploration survenus au cours de l’été de 2013 dans le comté de Kent ont culminé par des effusions de violence à l’automne 2013. Dans le cadre de cette manifestation, le peuple Mi’gmaq de partout dans les Maritimes a fait des revendications au titre des obligations découlant de traités pour protéger la région.

Après que les permis d’exploration eurent été délivrés en 2010, les manifestations publiques dans différentes régions d’exploration partout au Nouveau-Brunswick, y compris dans le comté de Kent, ont pris de court les organismes de règlementation (ministère de l’Énergie et des Mines, ministère de l’Environnement et gouvernement local). La province a introduit une série de règles en 2011, puis de nouveau en 2013, pour répondre aux préoccupations relatives à la contamination de l’eau; toutefois, l’opposition publique est demeurée élevée. Un nouveau gouvernement provincial élu en octobre 2014 a donné suite à sa promesse d’imposer un moratoire sur la fracturation hydraulique en décembre 2014. Le nouveau gouvernement a nommé une commission pour tenir des audiences partout dans la province en 2015 afin d’en apprendre un peu plus sur l’origine fondamentale des préoccupations publiques sous-jacentes. La commission a publié son rapport au début de 2016 puis, en mai 2016, le gouvernement a prolongé le moratoire pour une période indéterminée.

Principales observations :

  • Les entrevues et les questions de sondage ont révélé des niveaux élevés d’opposition à la fracturation hydraulique pour les gaz de schiste (70 % s’opposaient dans une certaine mesure) et les préoccupations relatives à la contamination de l’eau comptaient parmi les préoccupations les plus importantes pour les membres de la collectivité. Les niveaux d’opposition ont atteint 80 % chez les résidents autochtones.
  • Pour certains des intervenants de l’industrie et de la communauté d’affaires, le fait que l’extraction de gaz de schiste, y compris le fractionnement hydraulique, a eu lieu dans le sud, dans la région de Sussex, sans qu’il n’y ait d’incident, signifie que les risques étaient connus et pouvaient être gérés, et que le projet avait offert certains avantages sur le plan du développement économique.
  • Les entrevues et les questions de sondage ont révélé un manque général de confiance à l’égard de la capacité des organismes de règlementation de surveiller une technologie relativement nouvelle comme le fractionnement hydraulique pour extraire des gaz de schiste. Une majorité (59 %) a exprimé un faible degré de confiance envers la capacité de l’organisme de règlementation d’appliquer les règles. Certains ont aussi perçu comme problématique le rôle double joué par le ministère des Mines et de l’Énergie, en tant que promoteur et en tant qu’organisme de règlementation de l’industrie des gaz de schiste.
  • La confiance du public envers les autorités s’est érodée alors que des figures importantes de l’autorité publique ont été contraintes de démissionner dans un scandale ou ont été mises à pied pour avoir critiqué le développement de l’exploitation des gaz de schiste.
  • Les deux tiers des résidents du comté de Kent ont signalé une augmentation de leur degré de confiance envers les pouvoirs publics responsables de la règlementation des gaz de schiste, à la suite de la décision d’imposer un moratoire.
  • Dans l’analyse finale, les représentants élus par le public ont décidé que les ressources énergétiques à partir des gaz de schiste ne pouvaient être exploitées d’une manière qui permet d’obtenir l’acceptation sociale.

Conclusions et recommandations

Dans cette section, nous colligeons nos observations et conclusions provenant du rapport provisoire et des études de cas. Nous avons tenté d’aller aussi loin que possible quant aux propositions sur lesquelles les pouvoirs publics peuvent exercer une influence. Nous reconnaissons que de nombreuses idées qui semblent prometteuses sont faciles à dire, mais beaucoup plus difficiles à mettre en application. La capacité de mise en œuvre est influencée par des contraintes liées aux ressources, des difficultés pratiques, les vicissitudes inhérentes au milieu politique et l’environnement des communications modernes.

Les promoteurs de projet, tout comme les pouvoirs publics, doivent demeurer très sensibles au contexte dans lequel le processus décisionnel est exécuté. Dans le même esprit, les conseils découlant de nos travaux doivent être compris à la fois dans le contexte de sociétal plus général et dans le contexte particulier des projets individuels dans chacune des compétences. Ce dernier aspect, clairement, doit entrer en ligne de compte au cas par cas.

Le contexte décisionnel s’est transformé par rapport à ce qui prévalait au tout début du siècle. La tendance naturelle des collectivités à se montrer méfiantes à l’égard des étrangers, jumelée au contexte plus récent du faible niveau de confiance envers le gouvernement et d’un environnement de communication surchargé, sont autant de facteurs qui ont rendu les processus décisionnels traditionnels inappropriés pour les tâches à venir. Le cercle élitiste, où le processus décisionnel est centralisé, est chose du passé.

Nous avons entendu dans les entrevues effectuées aux fins du rapport provisoire et on a observé dans certaines études de cas que les décideurs, y compris les organismes de règlementation de l’énergie, doivent s’adapter avec cette nouvelle réalité. Une grande partie de cette adaptation prend la forme d’ajustements du modèle de base plutôt que la forme d’une refonte fondamentale de la structure décisionnelle. Les décideurs parlent de processus réformés, mais la plupart ne sont guère plus que de vagues notions de licences sociales où chacun et chaque collectivité devient un décideur et où, inévitablement, la décision dominante est simplement l’absence d’une prise de décision.

Cette réalité s’observe dans un contexte où la nouvelle infrastructure d’énergie est nécessaire et où la pression concurrentielle exige des processus plus, et non moins, efficients. Les controverses dominantes concernent une infrastructure qui soutient notre économie fondée sur les sources d’énergie traditionnelles. Cependant, la grande majorité des décisions futures seront axées sur la nouvelle infrastructure d’énergie « propre » à l’appui d’une économie très faible en émissions de GES. Comme le montrent les études de cas, l’énergie propre peut être aussi controversée que l’énergie provenant des hydrocarbures à l’échelle des collectivités locales. Les aspirations pour une transformation radicale de nos systèmes énergétiques d’ici 2030, voire 2050, sont compromises dans le contexte dans lequel les décisions relatives à l’énergie seront prises. Les décideurs qui ne tiennent pas compte de cette réalité risquent de rendre cette transformation encore plus difficile et plus laborieuse que ne pourraient le laisser entendre les réalités du marché. Ainsi, nous formulons les recommandations générales suivantes :

1. Il est nécessaire de repenser fondamentalement les structures décisionnelles du secteur de l’énergie.

La question la plus fondamentale est la suivante : quelle est la solution la plus juste sur le plan du résultat et du processus? On pourrait alléguer que dans une société où nous comptons parmi nos valeurs les plus fondamentales la responsabilité démocratique et la primauté du droit, l’équité devrait être observée dans les systèmes qui confèrent une certaine garantie de respect de ces valeurs.

L’équité garantit également la capacité continue de mobiliser les citoyens dans le cadre du processus de réflexion sur notre avenir collectif par rapport à l’énergie. Les collectivités insisteront pour que les justifications à la base de la politique publique pour les nouveaux projets soient bien énoncées et débattues dans le domaine public. Les enjeux relatifs à la politique publique qui donnent lieu à des discussions plus générales comprennent l’avenir de la plus grande industrie d’exportation du Canada (pétrole et gaz); les solutions novatrices pour un avenir à faibles émissions de carbone balisées par les dimensions de l’efficacité par rapport aux coûts, de l’efficience, de la fiabilité, de la sécurité; la distribution des avantages, la planification régionale, l’établissement d’un équilibre approprié entre les préoccupations locales et l’intérêt public plus général en fournissant un accès aux réserves énergétiques.

2. Nous devons repenser la structure et le fonctionnement des organismes de règlementation de l’énergie.

Le système de règlementation est complexe et fait interagir de nombreux types d’entités entre elles et avec le système politique plus général. Les récentes tentatives déployées par les gouvernements pour établir des guichets d’approvisionnement uniques, sans entrave, simplifiant et accélérant le système ont été contre-productives dans bien des cas. Nous devons repenser l’idée de base d’un organisme de règlementation indépendant, en rétablissant la légitimité des responsables de la règlementation, tout en veillant à l’établissement de relations productives et efficaces entre les organismes de règlementation et les décisionnaires. Nous devons élaborer de nouveaux mécanismes de mobilisation crédibles et flexibles en marge des processus officiels, et des approches novatrices, comme la création conjointe de la règlementation, pour inclure les organismes de la société civile et les collectivités dans les processus officiels.

3. Nous avons besoin de repenser fondamentalement le « rôle de la localité ».

Les gouvernements autochtones et les gouvernements locaux (municipaux) jouent un rôle de plus en plus important dans le processus de réflexion sur leur avenir économique et énergétique. Cependant, les processus décisionnels gouvernementaux ont été établis bien avant cette nouvelle réalité. Nous devons réfléchir à l’importance fondamentale de la planification communautaire et à la distribution appropriée des rôles et des pouvoirs des autorités locales dans le cadre du processus décisionnel relatif aux projets. Sur cette toile de fond vient s’ajouter la question de savoir quand et dans quelles circonstances il incombe à une collectivité locale de se plier à l’intérêt de la société plus générale.

4. Nous devons repenser fondamentalement la façon dont l’information a des répercussions sur la prise de décision.

Le Canada, pour l’ensemble de ses aspirations énergétiques, est remarquablement pauvre lorsqu’il est question d’information sur l’énergie, surtout si on le compare aux États-Unis. Une information communiquée en temps plus opportun par des entités crédibles pourrait contribuer à établir la confiance et à mettre au point des processus décisionnels viables.

Rien de tout cela ne se produira facilement ou sans entraîner des coûts. Les types de processus décisionnels dont il est question dans les propositions ci-dessus exigeront plus de temps, limiteront les options politiques et exigeront des ressources administratives. Ils entraîneront éventuellement des coûts additionnels importants pour que les projets puissent être adaptés en fonction des préoccupations locales. Ils exigeront de la patience, en particulier dans le contexte où les Canadiens observent la transformation de leurs systèmes énergétiques qui deviennent des systèmes à plus faibles émissions de carbone. Ils exigeront encore des choix politiques difficiles lorsque les volontés des collectivités locales ne pourront être conciliées avec l’intérêt de la société plus générale.

 

* Michael Cleland est un professionnel en résidence collaborant au projet Énergie Positive de l’Université d’Ottawa.
Shafak Sajid – Analyste de politiques, Canada West Foundation
Stephen Bird –  Professeur agrégé de science politique, Clarkson University, New York et Chercheur, Chaire de recherche Fulbright en matière de gouvernance et d’administration publique, Université d’Ottawa
Louis Simard – Professeur agrégé, École d’études politiques, Université d’Ottawa
Stewart Fast – Associé principal de recherche, Institut de recherche sur la science, la société et la politique publique, Université d’Ottawa

  1. Michael Cleland et al, Fair Enough: Assessing Community Confidence in Energy Authorities, Ottawa, Canada West Foundation et Université d’Ottawa, 2016.
  2. Deux des collectivités, Nation crie de Nisichawayasihk (NCN), Manitoba et St-Valentin (Québec) ne présentaient pas une popultion qui se prêtait à un échantillonnage statistiquement significatif, de sorte qu’il n’y a aucune donnée quantitative pour ces collectivités.
  3. Michael Cleland et al, A Matter of Trust: The Role of Communities in Energy Decision-Making, Ottawa, Université d’Ottawa et Canada West Foundation, octobre 2016 [À venir].
  4. Laura Nourallah, Communities in Perspective: The Dimensions of Social Acceptance for Energy Development and the Role of Trust, Positive Energy Project, Ottawa, Université d’Ottawa, 2016.
  5. Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N-7.
  6. Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19.
  7. Energy Undertakings: Exempt Undertakings, O Reg 305/10.
  8. Loi sur l’aménagement du territoire, LRO 1990, c P.13.

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